Le retour des montagnes russes

5 septembre2024

Auteur: Vincent Coppée, gestionnaire de fonds chez Argenta Asset Management

Les bourses mondiales ont été sujettes à une forte volatilité durant le mois d’août. Un regain d’inquiétude sur la croissance américaine combiné à des facteurs techniques et une liquidité limitée a provoqué une chute brutale des indices, heureusement suivie d’un solide rebond. Les taux d’intérêt de long terme ont peu évolué après des chiffres d’inflation toutefois encourageants. Le marché se prépare pour la première baisse de taux de la banque centrale américaine.

Dans cette mise à jour nous parcourons plus en détail les derniers événements économiques et financiers, ainsi que les dernières orientations dans la gestion des fonds de placements.

Marchés boursiers : âmes sensibles s’abstenir

Les investisseurs qui ont pris leurs vacances en août et sont retournés devant leurs écrans à la fin du mois pourraient penser qu’il ne s’est pas passé grand-chose en leur absence. L’indice mondial des actions a en effet terminé quasi-inchangé. Mais comme l’illustre le graphique ci-dessous, le parcours a été très agité : une forte correction a secoué les marchés au début du mois, avec des pertes de 4 à 8 % en quelques jours. L’indice japonais a même perdu plus de 15 %. 

Évolution des bourses en Euro

Les causes de cette nervosité soudaine ont résulté principalement de deux facteurs. Tout d’abord la publication de chiffres de l’emploi décevants aux États-Unis a éveillé la crainte des investisseurs que la Federal Reserve avait attendu trop longtemps pour assouplir sa politique, et qu’une récession devenait à nouveau envisageable. D’autre part un facteur technique a joué un rôle dans la brutalité de la chute : les opérations de « carry trade » sur le yen japonais.

Le dénouement du « carry trade » sur le yen

Tout d’abord un mot d’explication : qu’est-ce que le « carry trade » ? Il s’agit d’une stratégie qui consiste à emprunter une devise d’un pays qui pratique des taux d’intérêt faibles, voire négatifs, comme le Japon encore récemment, afin de l’échanger contre une devise d’un pays à rendement plus élevé (euro, dollar) et ainsi bénéficier du différentiel des taux. Les investisseurs qui pratiquent le carry trade sur le yen vont donc emprunter en yen, puis échanger le yen contre des euros ou des dollars, pour investir en actifs dans ces deux zones, dont des actions.

Que s’est-il passé avec ce carry trade début août ? L'annonce de la Banque centrale japonaise le 31 juillet qu’elle allait porter son taux d’intérêt à 0,25 % a surpris les investisseurs. Il s’agit d’un niveau qui n'avait pas été atteint depuis 2008 et qui laisse entendre de futures hausses de taux à venir. Conséquence ? L'écart de taux entre le yen et le dollar, qui rendait autrefois l'opération de carry trade séduisante, s’est réduit. L’emprunt en yen est devenu plus cher, poussant les investisseurs à liquider rapidement ce trade car le risque pris sur le change est moins justifié. Mais pour pouvoir rembourser l’emprunt en yen, il leur fallait revendre rapidement les actifs qu’ils avaient achetés avec le prêt, provoquant une chute des cours.

Le 5 août, l'appréciation du yen face au dollar a encore accéléré ce mouvement, avec une hausse de 2,94 % en une seule journée, pour atteindre son niveau le plus élevé depuis début janvier. Cette appréciation du yen n'a pas seulement affecté les carry trades : elle est également défavorable pour les valeurs japonaises orientées vers l'export et explique la chute plus forte encore de l'indice japonais, dont 60 % des entreprises sont des sociétés exportatrices, à l'image de Toyota.

Le rebond rapide des marchés

Comme souvent lorsqu’une chute des cours est provoquée par un facteur technique, l’effet se dissipe assez rapidement. C’est en effet ce qui s’est passé par la suite, d’autant que d’autre données économiques moins alarmistes aux États-Unis ont calmé les craintes des investisseurs. Les derniers chiffres d’inflation ont aussi contribué à la hausse en rendant pratiquement certaine une baisse des taux de la FED en septembre.

Les données macroéconomiques : débats sur « l’atterrissage en douceur »

Ces derniers mois, le scénario central des économistes pour l’économie mondiale est devenu celui de « l’atterrissage en douceur », c’est-à-dire une croissance en recul mais toujours positive combinée à une baisse de l’inflation. En somme le meilleur des mondes pour les actifs financiers. Mais quelques chiffres publiés fin juillet et début août ont brièvement ébranlé cette conviction.

Les indices ISM et l’emploi américain inquiètent

Le premier août, la publication de l’indice ISM de l’industrie aux États-Unis a provoqué une première déception en s’enfonçant encore plus bas sous le niveau de 50, comme on le voit sur le graphe ci-dessous (ligne bleue). Pour rappel, un chiffre en-dessous de 50 pointe un risque de contraction de l’activité économique. Heureusement un peu plus tard, l’indice des services est lui repassé au-dessus de 50 (ligne rose).

Enquêtes PMI/ISM

Le lendemain 2 août, le chiffre mensuel de création d’emplois est venu aggraver les choses en ressortissant bien plus faible que prévu, avec un taux de chômage à nouveau en hausse à 4,3 % alors qu’on attendait 4,1 % (voir ci-dessous). Se pouvait-il que l’économie américaine s’affaiblisse plus que prévu, mettant en doute le scénario idéal de l’atterrissage en douceur ?

Taux de chômage et salaires : États-Unis

La consommation et l’inflation rassurent

Heureusement, la succession des chiffres n’a pas donné la même image. Les ventes au détail publiées un peu plus tard ont montré que le consommateur américain continue à dépenser sans compter, et avec une confiance qui semble revenir (voir graphique ci-dessous). C’est un élément important puisque la consommation représente les deux tiers de la croissance.

Consommation et confiance

L’inflation quant à elle poursuit sa décrue, en refluant sous les 3 %. En Europe, on se rapproche même fortement des 2 %, le fameux objectif cher aux banques centrales.

Inflation et inflation de base

Feu vert pour les baisses de taux

La combinaison d’un marché de l’emploi qui s’affaiblit et de l’inflation qui poursuit son recul devrait être tout ce dont la FED a besoin pour se décider à baisser son taux directeur en septembre. Le marché s’attend maintenant à des abaissements successifs qui devraient porter le taux central à 4,5 % en fin d’année et 3,5 % mi-2025.

Courbe de la politique de taux américaine

Lors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole (USA) fin août, le président de la FED Jerome Powell a d’ailleurs indiqué que « le temps était venu d’ajuster la politique monétaire » et que « la direction du trajet est claire », même si le rythme de la baisse des taux dépendra toujours des données économiques à venir.

Les taux d’intérêt à long terme ont quant à eux assez peu réagi pendant le mois écoulé après la grosse baisse de juillet, voyant dans l’évolution de l’inflation et les commentaires de la FED plutôt une confirmation qu’un élément neuf. En Allemagne, le taux à 10 ans a même légèrement augmenté (voir ci-dessous, ligne verte à droite).

Taux d'intérêt et cours obligataires

Les élections présidentielles américaines : le suspense est relancé

Depuis le remplacement de Joe Biden par Kamala Harris chez les démocrates, la course à la présidence est clairement relancée. Les derniers sondages donnent même une légère avance de Harris sur Trump.

Trump vs. Harris Source : RealClearPolitics

Les marchés réagissent constamment aux derniers sondages. Après les actions « Trump » (énergie fossile, défense…) en juillet, ce sont maintenant les actions « Harris » (énergies alternatives, infrastructure…) qui ont le vent en poupe. Il est encore bien trop tôt pour prendre une position claire, mais il est bien entendu que nous devrons redoubler d’attention dans les prochaines semaines à l’approche des élections, car la polarisation est telle aux États-Unis que les flux de capitaux sur les marchés pourraient s’accélérer.

Un mot sur les résultats de Nvidia

Nous nous devons enfin d’évoquer les résultats trimestriels de Nvidia, qui sont devenus le rendez-vous incontournable des analystes et investisseurs, tant cette société a acquis un statut de référence absolue dans la révolution de l’intelligence artificielle (IA).

Le champion américain des semi-conducteurs a publié des résultats une nouvelle fois supérieurs aux attentes pour son deuxième trimestre, mais qui témoignent d’une légère décélération de sa croissance. Après avoir plus que triplé ses revenus lors des derniers trimestres, Nvidia n’a fait que les doubler cette fois (+122 % sur un an), même si cela reste sur un rythme sans commune mesure avec le reste du secteur.

Wall Street a fraîchement accueilli cette publication et en réaction, le titre perdait plus de 5 % le lendemain. Nvidia continue à défier les lois de la gravité, mais la réaction du titre montre que ce n’est pas suffisant pour que le marché s’en satisfasse. Il ne s’agit manifestement plus de dépasser les attentes, mais de les exploser et les investisseurs ont donc manifesté une certaine déception.

Les mois d’été ont d’ailleurs été moins favorables pour les mégacapitalisations par rapport au reste du marché (MSCI World) à l’exception de Apple, comme ont le voit ci-dessous. Assiste-t-on enfin à l’élargissement des performances et au rattrapage des titres restés dans l’ombre des mégacapitalisations ? Les prochains mois seront très intéressants à suivre à cet égard.

Le club des cinq versus MSCI World

Notre positionnement dans les fonds essentiels

Le scénario « d’atterrissage en douceur » de l’économie mondiale, combinant croissance en recul et inflation en recul, reste le plus probable, même s’il est épisodiquement remis en doute comme au début du mois d’août. Dans ce contexte, les actions sont la classe d’actifs la plus favorisée : les entreprises continuent de jouir d’une économie en croissance et voient leurs conditions de financement s’améliorer nettement. La pondération des actions reste donc supérieure au niveau d’équilibre. Les obligations ne sont pourtant pas oubliées, car la baisse de l’inflation et des taux d’intérêt profite aussi aux cours obligataires.

Au sein des actions

Au sein des actions, nous avons effectué quelques ajustements. Nous ne modifions cependant rien à nos principales convictions dans notre portefeuille :

  • Nous privilégions les actions de qualité à long terme tout en gardant un œil sur la valorisation raisonnable des titres.
  • Nous conservons notre confiance dans les grands thèmes de croissance de long terme dans lesquels nous sommes investis depuis de nombreuses années.
  • Nous maintenons notre vision très tranchée au sein des marchés émergents où nous sommes largement investis en Inde et en l’Asie du Sud-Est. Nous y observons une combinaison favorable de croissance économique et d’investissements productifs pour le futur. Nous restons pratiquement absents de la Chine où la croissance va de mal en pis et où les risques géopolitiques restent importants. Nous pouvons constater ci-dessous que le choix de préférer l’Inde à la Chine s’est révélé payant.
Inde versus Chine

Nous avons cependant pris un peu de bénéfices sur les actions indiennes ces dernières semaines après un très beau parcours depuis le début de l’année. Nous conservons toujours plus de 4 % des actions en Inde. Nous avons utilisé le produit de cette vente pour investir dans une sélection d’actions américaines actives dans le secteur immobilier. La confirmation du début du cycle de baisse des taux aux États-Unis est en effet une bonne nouvelle pour ce secteur qui a souffert d’un contexte de financement très difficile ces dernières années.

Au sein des obligations

Le ralentissement économique et les baisses attendues des taux d'intérêt poussent le dollar américain à la baisse. Le différentiel de taux entre les États-Unis et l’Europe devient en effet moins intéressant pour les investisseurs, et la Banque centrale européenne fait preuve de moins de clarté que sa consœur américaine à propos de futurs abaissements de ses taux directeurs. Par ailleurs, le ralentissement de la croissance peut mettre en difficulté les entreprises américaines les plus fragiles.

En conséquence nous avons réduit nos investissements dans les obligations d’entreprises américaines de moindre qualité au profit d’un fonds de placement plus diversifié au niveau international. Nous avons également augmenté notre exposition aux obligations d’État émergentes en monnaie locale, qui bénéficient en règle générale d’un affaiblissement de la devise américaine. 

Conclusion

Le contexte macroéconomique global continue d’être favorable aux marchés d’actions en général. L’amorce d’un cycle de baisse des taux directeurs aux États-Unis en septembre devrait renforcer cette tendance. Mais c’est une situation qui est également relativement favorable pour les obligations. C’est pourquoi nous privilégions une allocation légèrement en faveur des actions, mais avec une poche obligataire encore bien présente dans les portefeuilles. Cette approche permet ainsi d’équilibrer les risques dans notre allocation.

Les incertitudes n’ont certes pas déserté les marchés. La situation géopolitique internationale toujours très tendue, et les élections américaines aux enjeux cruciaux en sont deux exemples. Nous restons donc très attentifs à gérer ces risques de manière constante et dans l’intérêt supérieur de notre clientèle.

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