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Un cadeau venu de Chine
3 février2025
« Chaque inconvénient a son avantage » (Johan Cruyff)
Cette phrase, sans doute exprimée sous le ton de la boutade, a rendu le légendaire Johan Cruyff[1] aussi célèbre dans le domaine linguistique qu’il l’était sur le terrain. L’idée qu’un avantage se cache derrière chaque inconvénient éclaire en effet bon nombre de situations en dehors des terrains de football. Dans le contexte actuel, elle offre une perspective intéressante, alors que les marchés boursiers ont été secoués par les résultats annoncés d’une obscure start-up chinoise.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe sur les marchés technologiques. Pour faire court, les algorithmes innovants de DeepSeek ont permis à quelques scientifiques chinois, selon leurs propres dires, d’obtenir des résultats similaires[2] dans le domaine de l’intelligence artificielle à une fraction du coût de leurs concurrents américains.
Au-delà des aspects technologiques de cet apparent bouleversement de la donne en matière d’IA, notre attention se porte surtout sur le contexte économique particulier de cet événement. La Chine fait face à un défi démographique colossal : l’implosion imminente de sa population active rend pratiquement impossible toute croissance économique significative dans les années à venir. Cela oblige le gouvernement à accélérer non seulement l’automatisation et la robotisation, mais également l’intégration de l’intelligence artificielle dans tous les rouages de l’activité économique.
Ce désavantage démographique devient ainsi son atout technologique majeur. Même la puissante Amérique se retrouve démunie, avant même que le projet Stargate, qui va engloutir des milliards de dollars et qui devait donner aux États-Unis une avance décisive, ne démarre.
« Ne laissez jamais la vérité gâcher une bonne histoire » (Mark Twain)
Trop beau pour être vrai, murmurerez-vous peut-être. Même si les affirmations de DeepSeek s’avéraient partiellement correctes, ces applications ne constituent pas le cœur du bond de productivité attendu grâce à l’IA. Ces avancées nécessitent d’autres modèles d’IA bien plus puissants, capables de réaliser des optimisations complexes dans des domaines tels que l’industrie, la santé, la logistique, la politique énergétique et les technologies, grâce à une puissance de calcul inédite.
« Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire » (Walt Disney)
L’un n’exclut pas l’autre ! DeepSeek démontre qu’une autre voie est possible, avec des coûts financiers réduits et une consommation moindre d’énergie et d’eau. C’est déjà en soi une réussite appréciable. La revendication de la start-up chinoise n’a même pas besoin d’être vraie. L’idée seule suffit à stimuler la recherche dans cette direction, ce qui pourrait plus tard aboutir à sa réalisation.
Pour l’instant, cependant, le résultat est une perte colossale d’environ 1 000 milliards de dollars. L’affirmation selon laquelle des applications d’IA beaucoup moins chères pourraient offrir la même efficacité (dans un domaine particulier, à savoir les grands modèles de langage) repose à la fois sur les algorithmes utilisés et sur l’emploi de microprocesseurs.
Ces deux aspects ont provoqué une onde de choc sur les marchés occidentaux, entraînant des pertes dramatiques dans l’industrie des logiciels et chez les producteurs de semi-conducteurs. Mais on ne peut pas le reprocher aux Chinois. Il faut seulement y voir le résultat de l’immaturité des marchés financiers, qui croient à tort que la bulle de l’IA éclate.
Rien n’est moins vrai. Si les affirmations de DeepSeek se vérifient, alors l’IA deviendra nettement moins chère et pourra être déployée sur une base beaucoup plus large via des outils largement répandus comme les smartphones et les tablettes. Un véritable cadeau venu de Chine, en quelque sorte.
« Mais méfiez-vous des Chinois et de leurs présents » (d’après Virgile)
Espérons que Virgile ne nous en voudra pas de légèrement adapter son célèbre vers. Les chevaux de Troie restent gravés dans nos mémoires.
Même si DeepSeek n’est pas une simple copie enjolivée et que son modèle fonctionne réellement, ce chatbot IA à moindre coût se limite à des applications, certes populaires, mais spécifiques. De plus, le coût réduit ne concerne que la phase d’apprentissage du modèle, pas son déploiement.
L’amélioration supposée de l’efficacité des modèles d’IA promet en tout cas des applications plus vastes et remet en question le scénario d’une domination américaine omniprésente[3]. Cela ne signifie pas pour autant que les États-Unis et leurs géants technologiques soient désormais dépassés. Une alternative, plus économique, leur est simplement proposée.
L’IA est une machine à vapeur
La chute des marchés financiers témoigne donc d’un manque de compréhension technologique et économique, associé à la peur classique des hauteurs après de nouveaux sommets atteints par les bourses américaines et européennes. De nombreuses entreprises pourraient précisément bénéficier de ce développement crucial.
La dynamique boursière favorable jusque-là a cependant attiré de nombreux investisseurs novices et des analystes mal formés, qui semblent ignorer l’effet Jevons.
Dès 1856 (!), l’économiste William Stanley Jevons[4] publiait un ouvrage avançant des arguments solides pour rassurer les producteurs de charbon. Ceux-ci redoutaient, à l’époque, une chute brutale de leurs ventes, alors que la combustion du charbon, grâce notamment à l’invention de la machine à vapeur de James Watt, devenait de plus en plus efficace.
C’est le contraire qui s’est produit. Une utilisation plus efficiente a fait chuter le coût de la consommation de charbon, entraînant une augmentation exponentielle de la demande. Cet effet de volume a largement compensé la baisse anticipée due à une plus grande efficacité. Jevons appelait cela l’« effet rebond » : une efficacité accrue dans la production réduit les coûts d’utilisation, ce qui, à son tour, stimule la consommation.
Une amélioration de l’efficacité dans la production de ressources entraîne une augmentation de leur consommation. C’était vrai pour le charbon. Çà l’est désormais pour les puces électroniques.
« Tout ce qui a de la valeur est vulnérable » (Lucebert)
Pourquoi alors cette réaction négative sur les marchés ? Nous avons assisté à la plus forte baisse de la valeur boursière d’une entreprise en une seule journée, avec une chute de 17 % pour Nvidia, l’une des plus grandes capitalisations boursières mondiales.
Seul ce qui a de la valeur risque d’en perdre. Entendons-nous bien : le fabricant de microprocesseurs Nvidia est encore aujourd’hui valorisé vingt fois plus qu’au début de 2020.
Graphique 1 : Évolution de l’action Nvidia (en valeur 100 au 1er janvier 2020)
Avec le temps, les marchés boursiers percevront les avantages et sauront s’adapter. Les premières réactions viendront des entreprises qui bénéficieront directement de la réduction présumée des coûts, notamment les grands réseaux et plateformes médiatiques. Suivront ensuite les applications logicielles pour l’industrie, et à un stade ultérieur, les fabricants de puces, actuellement freinés par les nouvelles restrictions à l’exportation imposées par le gouvernement américain.
Mais d’abord : de mal en pis
Entre-temps, un nouvel élément fait trembler les marchés sur leur base : le nouveau président américain qui brandit dangereusement des tarifs douaniers, sans prendre en compte l’impact économique négatif que cela pourrait avoir sur son propre pays.
Il semble que ce dernier ne réalise pas, ou pas suffisamment, qu’en raison de la pénurie de main-d’œuvre dans son pays, les nouveaux tarifs d’importation draconiens sur les produits étrangers seront directement répercutés sur le consommateur américain. Mais nous l’aborderons (beaucoup plus) en détail ultérieurement…
Entre-temps, notre héros du football nous aide à comprendre une telle absurdité. Dans le riche répertoire des déclarations de Cruyff, nous retenons encore celle-ci : « Vous ne le voyez que lorsque vous le comprenez. »
[1] La question de savoir si l’original peut être attribué à Cruyff est sujette à débat. Martinus Nijhoff avait en effet déjà formulé cette idée bien plus tôt dans l’un de ses poèmes. Cependant, il est peu probable que ce footballeur amstellodamois ait été un grand lecteur de poésie.
[2] Nous avons posé à ChatGPT et DeepSeek la même question : lequel des deux chatbots fournit les meilleures réponses ? Leur réponse était similaire, sobre et objective : « cela dépend. »
[3] En raison des investissements financiers colossaux requis et des quantités énormes de microprocesseurs que les anciens algorithmes devaient consommer pour produire un résultat. Cela nécessite un niveau d’investissement que seuls les États-Unis pourraient soutenir.
[4] Extrait de notre manuel de microéconomie des années 1980 : William Stanley Jevons était un économiste britannique (1835-1882) qui a significativement contribué à l’approche systématique de l’économie, qu’il considérait comme une branche des mathématiques. Il a également apporté des idées novatrices dans la théorie de l’utilité et l’économie politique.
[5] Lucebert (1924-1994) faisait partie de la génération d’artistes connue sous le nom des Vijftigers. Ils se moquaient des règles de style, de la grammaire et des rimes imposées, ou de tout ce qui pouvait restreindre la créativité. La deuxième strophe du poème de Lucebert « De zeer oude zingt » vous mène à la ligne de vers concernée. Sa signification précise est laissée à votre propre interprétation.
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