The end of the world as we know it (?)

24 janvier 2025

Même s’il n’avait jamais vraiment disparu de la scène politique, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a signé un retour fracassant en ne laissant aucun doute sur le fait qu’il tiendra le premier rôle de la téléréalité mondiale des quatre prochaines années.

Mais ne vous attendez pas en tout cas à un remake de la période burlesque de 2016 à 2020, lorsque Donald J. Trump, à sa propre surprise et donc totalement pris au dépourvu, avait pris place dans le Bureau ovale, laissant sa bande de bras cassés qui se considéraient comme son entourage lui dicter ses saillies ineptes. Quant à ses propres contributions à la politique chaotique de l’époque, rappelons-en les plus funestes : la guerre commerciale (perdue) avec la Chine et la gestion confuse de l’épidémie de covid, qui lui coûtera finalement sa réélection. Nombre des mesures que le premier régime Trump voulait imposer ont échoué en raison de leur mise en œuvre désordonnée. 

Mais son retour au pouvoir n’annonce aucunement un simple « déjà-vu » all over again. Après avoir passé quatre ans sur le banc de touche, et à l’occasion sur les bancs des accusés au tribunal, le président est cette fois-ci mieux préparé et soutenu par des personnes plus compétentes, avec des objectifs clairs et un plan d’action concret, ce qui a d’ailleurs donné lieu aussi sec à une avalanche de nouveaux décrets. 

Galvanisé par l’ampleur de sa victoire électorale, Trump entend exécuter son agenda politique sans réserve en vue de restaurer l’hégémonie géopolitique des États-Unis, de donner toutes les chances à la croissance économique nationale, de réduire l’immigration illégale et de mettre fin à l’importation de déchets nuisibles.

La domination géopolitique n’est cependant possible que si la Russie est ramenée à sa juste place et si l’expansion économique chinoise est freinée. Le premier objectif ne pourra être réalisé que par un plan de paix que le Kremlin pourra vendre comme une victoire à son opinion publique. Le second sera beaucoup plus difficile à atteindre. Vu son immense défi démographique, la Chine doit mener une politique d’expansion dans des régions où elle peut encore générer une forte croissance économique, ce qui lui est à présent impossible sur son marché intérieur.

Mais le moment de bascule actuel ne pourrait-il pas créer la fenêtre d’opportunité pour réaliser les deux ? La Chine ne peut actuellement pas se permettre de subir une baisse de ses exportations vers les États-Unis. Elle encaissera donc passivement les mesures américaines avant, quelque temps plus tard, de les renvoyer à l’expéditeur, comme un maître des arts martiaux orientaux qui connaît ses classiques. La Russie, pour sa part, est confrontée à une implosion de son économie et au Kremlin, on doit progressivement se poser des questions sur le coût humain et économique énorme qu’il a fallu pour occuper une bande de terre relativement limitée. Mais n’attendez pas trop de remises en question à cet égard !

Les marchés financiers accueillent positivement la nouvelle politique américaine, même s’ils font preuve d’une prudence de bon aloi. La crainte de droits de douane arbitraires et nuisibles, d’une dérive incontrôlée de la politique budgétaire et de nouvelles hausses des taux d’intérêt à long terme ont provoqué des turbulences, surtout au cours des premières semaines de 2025. Mais cette agitation semble s’estomper. En partie parce que les droits de douane (pour l’instant) sont moins drastiques que prévu initialement, mais surtout parce que les bénéfices des entreprises au quatrième trimestre de 2024 dépassent largement les attentes.[1] Il est cependant trop tôt pour en tirer un bilan général. Les grands noms comme Apple, Microsoft, Alphabet et Nvidia publieront leurs résultats plus tard.

Cela illustre également l’attitude fondamentale des bourses : la tornade politique que lancera le nouveau régime Trump épargnera dans un premier temps le monde des affaires pour (du moins selon les attentes) stimuler ensuite la croissance économique et soutenir la poursuite de la progression des résultats des entreprises.

Ce scénario repose cependant en grande partie sur le fait que le marché du travail ne surchauffera pas entre-temps, ce qui risquerait de provoquer un rebond tant des taux d’intérêt que de l’inflation. Les dernières statistiques sur l’emploi montrent en tout cas qu’il ne faut pas prendre de risques inutiles à cet égard. Les créations d’emplois s’accélèrent en effet plus que prévu. Une telle évolution pourrait donc à l’avenir faire monter les salaires et exercer une pression à la hausse sur les taux d’intérêt. Mais, entendons-nous bien : nous n’en sommes pas encore là. L’inflation salariale semble même temporairement se refroidir.[2]

Pour l’instant, les bourses européennes poussent un soupir de soulagement, qui est d’autant plus audible que l’Europe n’a même pas été mentionnée dans le discours inaugural du président. Pour la première fois depuis longtemps, les bourses européennes offrent même un meilleur rendement que les américaines, il est vrai sur une très courte période et surtout en raison de la performance des actions bancaires.

Graphique 1 : évolution de quelques indices boursiers depuis le 1er janvier 2025 (en euros

Graphique 1 : évolution de quelques indices boursiers depuis le 1er janvier 2025 (en euros

La guerre tarifaire annoncée donne lieu désormais à toutes sortes de scénarios spéculatifs sur une possible hausse spectaculaire du taux de change du dollar américain. De notre côté, nous anticipons un scénario moins dramatique. Un taux de change est en effet principalement déterminé par les flux financiers et dans une bien moindre mesure par les flux commerciaux, qui sont influencés par les droits de douane américains.

Comme les États-Unis ne peuvent pas développer suffisamment leur propre capacité industrielle à court terme, ces flux commerciaux ne seront affectés que dans une mesure limitée. Finalement, ce seront à nouveau les différences de taux d’intérêt entre les États-Unis et la zone euro qui détermineront l’évolution du taux de change.

En 2025, la Banque centrale européenne peut abaisser son taux directeur de 50 points de base assez rapidement (probablement en deux étapes). Les États-Unis ne semblent actuellement pouvoir supporter qu’une seule étape d’un quart de pour cent, quelque part dans la seconde moitié de l’année. Ce n’est pas une différence énorme et donc pas de nature à provoquer de très grands mouvements. Bien sûr, un tel schéma de prévisions exerce une certaine pression à la hausse sur le dollar américain, mais cela est déjà en partie intégré dans le cours actuel.

Récemment, une légère amélioration des perspectives d’inflation aux États-Unis a été observée, du moins pour les 2 à 3 prochains mois. Cela permet à l’administration Trump de pousser (discrètement ou non) la Fed à plus de souplesse pour des baisses de taux plus précoces ou plus importantes. C’est pourquoi le taux de change du dollar américain s’est récemment affaibli. Quoi qu’il en soit, nous envisageons bien une parité entre le dollar et l’euro, mais nous restons dans le doute quant au moment où cela pourrait se produire et surtout quant au potentiel d’appréciation supplémentaire du billet vert.

Certaines propositions de Trump concernant le Canada, le Panama et le Groenland suscitent entre-temps une agitation internationale considérable. Ne laissez pas cela vous couper l’appétit pour l’instant.

La proposition d’intégration du Canada aux États-Unis vise uniquement à rappeler aux Canadiens libéraux (à tort ou à raison) qu’ils doivent leur souveraineté à la protection implicite des États-Unis.[3] La prise du canal de Panama peut être réalisée beaucoup plus facilement par un blocus filtrant qui donnerait la priorité aux navires américains.

Notre imagination est cependant surtout stimulée par la potentielle annexion du Groenland. D’un point de vue stratégique, cette opération aurait beaucoup de sens. Si le réchauffement climatique se poursuit au rythme actuel, la route maritime nord entre la Russie et le Groenland deviendra navigable, créant ainsi une frontière non protégée pour les pays de l’OTAN.[4] Avec une richesse de métaux et de minéraux inexploités dans son sous-sol, le Groenland risque alors de devenir une proie très attractive pour la Russie et la Chine.

Une éventuelle annexion aux États-Unis sera fortement critiquée, mais cela s’estompera progressivement si cela se fait avec le consentement explicite de la population locale et les accords nécessaires sur le respect de la nature unique. 

À l’époque, les sommes payées pour acheter la Louisiane (qui appartenait à la France[5]) et plus tard l’Alaska (territoire russe) avaient également suscité un flot de critiques, mais personne ne doute maintenant que ce furent d’excellents investissements. Un million de dollars ou d’euros sur le compte de chacun des 56 000 habitants et un peu plus dans la caisse de l’État local pourraient rapidement trancher la question. Notre langue sera alors aussi agrémentée d’un nouveau proverbe : Aussi riche qu’un Groenlandais.

[1] Les résultats du quatrième trimestre de 2024 ont dépassé les attentes (aux États-Unis) de plus de 10 %. Cependant, il est prématuré de s’en réjouir, car cela concerne seulement un échantillon restreint d’entreprises. Cette évolution est principalement influencée par les performances de quelques banques, ainsi que de Netflix et Carnival (croisières).

[2] Globalement, l’inflation salariale montre des signes d’apaisement, mais ce n’est pas le cas dans les secteurs des services. Cela s’explique à nouveau par l’augmentation des bonus dans le secteur financier.

[3] De surcroît, ces pays comptent de nombreux électeurs potentiels du parti démocrate, ce qui devrait inciter le parti républicain à faire preuve de prudence vis-à-vis de cette proposition.

[4] Avec l’annonce du retrait des États-Unis de l’accord de Paris, on pourrait même penser que le pays souhaite encourager la poursuite de ce réchauffement climatique.

[5] En 1803, Napoléon a cédé ce vaste territoire aux États-Unis pour une somme qui s’est révélée dérisoire par la suite. À l’époque, la Louisiane s’étendait du golfe du Mexique (sic) jusqu’à la frontière canadienne. Le célèbre Corse avait désespérément besoin de cet argent pour financer ses guerres, notamment contre l’Angleterre. Pour l’anecdote, notons que c’est la puissante Barings Bank anglaise qui a orchestré et conclu cette transaction. Oui, cette même Barings Bank qui a fait faillite en 1996, victime des agissements d’un seul trader imprudent et inexpérimenté : Nick Leeson.

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