Citius, altius, fortius… mais hélas pas sur les bourses.

7 août 2024

La devise que Pierre de Coubertin a prononcée lors de la création du mouvement olympique moderne en 1894 reste le mot d’ordre qui anime aujourd’hui les athlètes sur les terrains de sport de la Ville Lumière et de ses alentours. Les bourses feraient bien de s’en inspirer. Hélas, sur les marchés financiers, point de « plus haut » ou de « plus fort » en ces jours estivaux. « Plus vite », certes, mais dans la mauvaise direction.

Le saut de l’ange n’est malheureusement pas une discipline olympique, sinon nous serions montés plusieurs fois sur le podium au mois d’août.

De tels plongeons boursiers ne sont pas rares durant la saison des moissons. On peut l’expliquer en partie par la faible liquidité des marchés financiers : les mouvements baissiers sont amplifiés à la moindre mauvaise nouvelle. La liste des débâcles financières au mois d’août est certes très longue, mais il s’est pourtant trouvé quelque chose ou quelqu’un pour y ajouter une nouvelle correction extrême des cours sur les bourses technologiques et un quasi-krach sur le marché japonais.

Qu’est-ce qui a donc pu provoquer ce coup de tonnerre boursier ? Un nouveau séisme géopolitique qui nous aurait échappé ? Un ébranlement inattendu des fondations du secteur financier ou encore un basculement de l’économie dans l’ornière de la récession ? Rien de tout cela ne s’est produit.

En tout cas, aucune évolution défavorable observée ces dernières semaines ne peut justifier une réaction boursière aussi spectaculaire. Nous osons donc déjà en conclure que cette implosion des cours représente une opportunité pour les investisseurs qui font preuve de la patience et de la persévérance nécessaires. Et il vous en faudra au cours des prochaines semaines ! Montrez votre sang-froid ! Lorsqu’une telle occasion se présente ainsi au débotté, ne lui claquez pas trop vite la porte au nez. 

Certes, les marchés boursiers broient du noir depuis un certain temps, surtout du côté des entreprises de croissance. Cela s’explique pour deux raisons. Tout d’abord, les cours de ces actions ont le plus augmenté. Ils sont donc malheureusement les candidats tout trouvés à un atterrissage brutal. Mais cette vague de prises de bénéfices, somme toute naturelle, ouvre de nouvelles opportunités pour les investisseurs fidèles. Après tout, il s’agit tout au plus (pour l’instant du moins) d’un mauvais orage d’été à passer.

Ensuite, et c’est la seconde explication au climat boursier maussade, le marché commence à remettre en question les juteuses perspectives de ces entreprises au profil très prometteur. De notre côté, dans la mesure où les conditions géopolitiques n’évoluent pas dans le mauvais sens, nous restons enclins à valider ce scénario de forte croissance future. Mais la situation tendue entre la Chine et Taïwan nous inquiète. Si Pékin semble ne pas vouloir déclencher un conflit armé dans un proche avenir, le régime communiste n’en cherche pas moins à saper lentement mais sûrement la prospérité de l’île « renégate ». On le remarque notamment à la flambée des cours du germanium, une matière première dont la Chine détient le quasi-monopole et dont Taïwan, fortement dépendante de son industrie des semi-conducteurs, a cruellement besoin. Cette évolution provoque de funestes répercussions, notamment pour ASML et Intel.

Le gros caillou sur lequel les marchés boursiers ont fini par trébucher s’est avéré être la publication, vendredi dernier, des chiffres du chômage américain. Ces statistiques avaient été précédées la veille par un mauvais chiffre ISM montrant que les secteurs industriels américains n’étaient pas l’abri d’une (légère) récession. Les secteurs des services, en revanche, ne confirment pas ce scénario. La dernière interprétation (le lundi 5 août à 16 h) de cet indicateur avancé de la conjoncture pointe vers une accélération, quoique modérée, de la croissance économique dans les secteurs des services (qui représentent plus de 70 % du PIB américain).

Cette perspective rassurante a permis de ralentir quelque peu la dégringolade des marchés boursiers qui avait commencé dans la matinée par un véritable bain de sang sur la place financière de Tokyo. Mais il en faudra plus pour soutenir un retournement de tendance. Les investisseurs ont maintenant besoin de preuves statistiques solides que la croissance de l’économie américaine est sur de bons rails pour les trimestres à venir et que les risques d’une méchante récession s’éloignent progressivement. Pour notre part, nous y croyons (pour l’instant) déjà pleinement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous abstenons de modifier radicalement la composition de nos portefeuilles d’investissement.   

Quelques jours avant la publication des statistiques de l’emploi, la banque centrale américaine avait encore une occasion en or de faire son devoir. Mais pour la énième fois, le président de la Fed est resté les bras ballants. Jerome Powell s’est bien gardé de sortir de sa zone de confort en se contentant d’annoncer que si les indicateurs d’inflation ralentissent encore, il sera prêt à desserrer l’étau monétaire avec lequel la Fed prive lentement l’économie américaine de l’oxygène nécessaire.

Mais une banque centrale se doit d’anticiper et de baisser ses taux directeurs avant même que l’inflation ne touche le creux tant attendu. Sinon, elle est sûre d’intervenir trop tard et de faire plonger inutilement l’économie en récession. Les derniers chiffres du chômage suggèrent que la Fed a maintenu les taux directeurs à un niveau beaucoup trop élevé pendant une période injustifiée, en prenant des risques totalement inutiles qui menacent maintenant de casser l’économie américaine. Trop is te veel.  Malheureusement, cette expression typiquement belge n’existe pas en anglais.

Pire encore. Il est à craindre que Powell et son équipe poursuivent leur politique irréfléchie et ignorent une fois de plus les signaux sans équivoque du marché. Les marchés des swaps les invitent en tout cas à agir de toute urgence. Alors qu’il y a quelques jours, le président de la Fed hésitait encore à préparer le marché à de prochaines baisses des taux d’intérêt - qui seront mises en œuvre progressivement à coups d’un quart de pour cent à partir de septembre - les marchés financiers réclament désormais une intervention anticipée d’un demi pour cent, de préférence avant la rentrée des classes, suivie sans délai de quelque cinq (!) coups de canif successifs au cours des mois suivants. Cela ramènerait le taux directeur à un niveau neutre situé entre 3,5 % et 3,75 %. ll n’y a aucune raison de ne pas le faire. 

Graphique : Évolution attendue du taux directeur américain

Graphique : Évolution attendue du taux directeur américain

À ce stade, il convient surtout de replacer le chiffre décevant du chômage du 2 août dans son contexte et de se garder de toute dramatisation inutile. Si la remontée de ce taux de chômage américain à 4,3 % a constitué une surprise, son caractère irrégulier n’en est pas une. Son rebond doit ainsi être vu largement comme le résultat d’une participation plus large de la population au marché du travail. Les personnes sont tout simplement plus nombreuses à vouloir y entrer parce qu’elles estiment désormais qu’elles trouveront effectivement un emploi convenable. Ce phénomène n’a rien d’inquiétant en soi.

Dans le même temps, le nombre total de nouveaux emplois créés est retombé à 114 000 unités en juillet. Dans un mois de vacances marqué par des ouragans et des conditions météorologiques extrêmes, ce n’est pas si mal. Et pour les quelques esprits pointus comme nous qui aiment transcender la superficialité des choses : Le nombre d’emplois nouvellement créés dans le secteur privé n’a guère changé par rapport aux mois précédents. Si la création de nouveaux emplois dans le secteur public diminue quelque peu, ce n’est pas non plus une surprise et certainement pas une menace. Les emplois dans l’enseignement public ne sont tout simplement pas pourvus en juillet.

Ne perdez pas non plus de vue que la croissance gigantesque du nombre de nouveaux emplois aux États-Unis au cours des trois dernières années s’inscrit essentiellement dans le mouvement de rattrapage amorcé après les pertes d’emplois tout aussi considérables de 2020. Il est dans l’ordre des choses que le taux de croissance du nombre de nouveaux emplois commence maintenant à fléchir. La situation se normalise tout naturellement sur le marché du travail. Et n’indique en rien un ralentissement économique.

Soyons cependant de bon compte : les chiffres de l’emploi ont en effet été un peu plus faibles que prévu, le nombre de demandes d’allocations de chômage augmente effectivement (mais se situe toujours très près de son plancher historique), la croissance des offres d’emploi ralentit et le chômage rebondit, bien que dans une mesure limitée.

Il s’agit là de signes évidents d’un affaiblissement de la dynamique économique. Mais il faut aussi jeter un coup d’œil sur l’évolution des rémunérations : Le rythme de croissance des salaires est retombé à un niveau idéal. Pas trop rapide pour ne pas alimenter l’inflation générale, mais pas trop lent non plus pour ne pas affecter le pouvoir d’achat des consommateurs.

Plus de peur que de mal, donc ? Oui, du moins pour l’instant. En fait, nous pouvons même vous avouer que si nous avions été informés avant les autres des chiffres sur lesquels les marchés trébucheraient une semaine plus tard, nous les aurions considérés comme un signal d’achat évident. Voyez jusqu’où va notre honnêteté !

Mais comme nous l’avons affirmé à maintes reprises, la Fed aurait déjà dû intervenir, et il est à craindre que son jeu de petits bras, son manque de réflexe économique et sa tendance à l’auto-préservation politique ne l’empêchent une fois de plus d’agir de manière décisive.

Au Japon aussi, la banque centrale est en partie à l’origine, le 5 août, de la chute invraisemblable des cours des actions qui s’est propagée tel un tsunami sur toute la planète boursière.

La Banque du Japon, pour des raisons inintelligibles pour un économiste terre-à-terre, pense qu’il est opportun à présent d’augmenter ses taux d’intérêt directeurs, après les avoir maintenus artificiellement à 0 % depuis des temps immémoriaux pour résoudre la crise de l’immobilier des années 1980 et 1990. En réalité, cette dernière était appelée à se dénouer d’elle-même en raison de l’effondrement démographique au Japon.

Le marché boursier japonais est donc resté très longtemps à l’écart de l’envolée de presque tous les autres marchés d’actions au cours des dernières décennies et n’a pu retrouver que récemment ses niveaux de 1991. Pendant tout ce temps, les entreprises exportatrices japonaises ont réussi à rester compétitives grâce à la baisse systématique du yen par rapport au dollar et à l’euro, conséquence directe de taux d’intérêt (beaucoup) plus bas.

Le récent rallye boursier japonais a donc été principalement alimenté par quelques grandes entreprises orientées vers l’exportation. La remontée annoncée des taux d’intérêt japonais a provoqué cependant une appréciation brutale et substantielle du yen, ce qui complique évidemment les exportations vers les États-Unis et l’Europe. Ajoutez à cela la crainte (pour l’instant infondée) d’une récession aux États-Unis et les investisseurs hésitants se pressent immanquablement vers la sortie du marché boursier japonais. Une leçon magistrale de l’art d’organiser des catastrophes financières inutiles !

Gardez également à l’esprit que le gouvernement local a récemment attiré de nombreux investisseurs inexpérimentés à la Bourse de Tokyo en leur accordant toutes sortes d’avantages fiscaux. Une telle horde de novices panique toujours à la moindre menace supposée. Une fois qu’ils auront disparu de la scène, des investisseurs institutionnels solides prendront la barre et corrigeront rapidement l’anomalie du 5 août.

En regard de la débâcle japonaise, les dégâts ne sont pas trop importants en Europe et aux États-Unis pour l’instant, mais ils restent considérables. Quelque 1 000 milliards de dollars sont partis en fumée rien qu’outre-Atlantique. Il ne fait aucun doute que les marchés se redresseront, mais aucun calendrier ne peut être fixé à cet égard. Les investisseurs institutionnels attendent à présent de retrouver des bases saines et de voir se confirmer leurs attentes en matière de croissance avant que les précédents records ne soient à nouveau atteints. Si les chiffres du chômage de septembre indiquent une stabilisation, si les résultats trimestriels de Nvidia (le 23/08) confirment la croissance de l’IA et du Cloud et si les indicateurs de l’activité manufacturière américaine se maintiennent, les bourses pourraient poursuivre leur success-story, soutenues par la baisse des taux d’intérêt directeurs et la poursuite du reflux progressif des indicateurs d’inflation.

Bien sûr, comme tout peut encore mal tourner sur cette planète, nous ne manquerons pas d’ajuster notre stratégie au moment opportun. Mais, patients et inébranlables, nous nous en tenons pour l’instant à notre scénario de base. Qui n’est autre que : citius, altius, fortius.  

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