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Parlez doucement et tenez un gros bâton
24 mars 2022
Les temps ne semblent pas encore mûrs pour un accord, même si les négociations actuelles devront bien y mener si l’on veut mettre un terme à ce conflit militaire inhumain. Après un (long) mois de violence russe barbare et de résilience courageuse de la population locale, l’agresseur a cependant conquis trop de territoire pour céder sur ses exigences initiales. Mais, forte du soutien occidental et de sa propre résistance militaire, l’Ukraine se sent toujours moins encline à accepter les conditions extravagantes russes.
Le relatif enlisement militaire actuel n’en rend pas moins la population civile toujours plus exposée à la terreur aveugle, sans aucune pertinence militaire, qui n’a pour but que d’améliorer la position tactique de l’agresseur à la table des négociations.
Les objectifs stratégiques1 de l’invasion russe apparaissent très clairement à la lecture de la carte. La frontière glissera d’une centaine de kilomètres vers l’Ouest, la mer d’Azov sera entourée d’un littoral entièrement russe afin que la Crimée ne soit plus seulement accessible par un pont terrestre (très vulnérable). Le territoire à l’ouest de la Crimée sera ostensiblement menacé afin de montrer au gouvernement ukrainien qu’il pourrait se voir privé de tout accès maritime et perdre ainsi ses principales infrastructures d’exportation. La pression exercée par la Russie sur la capitale ne sert qu’à obtenir des concessions, et non pas à s’en emparer, parce que l’agresseur n’aurait pas assez d’hommes pour occuper et maintenir sous son joug une ville aussi peuplée.
Les prétextes invoqués pour cette agression sont bien connus : une menace aux abords des frontières russes et une prétendue oppression de la population russophone en Ukraine. Mais l’Occident ne peut pas non plus évacuer ses propres responsabilités d’un revers de la main. L’ancienne chancelière allemande, Angela Merkel, une personne de confiance de Poutine, n’avait eu de cesse de répéter que le Kremlin considérerait comme une grave menace l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
Il suffit d’ailleurs de jeter un rapide coup d’œil sur la carte géophysique de l’Europe centrale et orientale pour reconnaître à cet argument une certaine pertinence, du moins en théorie. L’adhésion de la Pologne et des États baltes à l’OTAN a dégagé pour l’OTAN un boulevard vers Moscou, à travers toute la plaine de l’Europe du Nord. Une adhésion de l’Ukraine à l’Alliance lui ouvrirait tout le flanc méridional et offrirait à ses troupes une voie de passage aisée, entre la crête protectrice de Smolensk, le Plateau central de Russie et le massif situé entre le fleuve Volga et la rivière Oka. Cela permettrait ainsi à l’OTAN de prendre le cœur de la Russie en tenaille. Conjecture excessive ? Certes, mais la puissante et fière Russie ne peut accepter de devenir ainsi quasi indéfendable dans une guerre conventionnelle. Qui prend encore en compte cette préoccupation ? La question appelle la réponse...
Il va de soi que cela ne justifie en rien les actes inqualifiables perpétrés actuellement. Nous tentons simplement d’imaginer une voie de sortie à ce conflit. Ce faisant, il est toujours plus utile d’essayer de comprendre la motivation de l’adversaire que de proférer des insultes à bon compte et de tomber dans les caricatures. Et pour l’heure, malheureusement, c’est ce concert d’opinions simplistes que nous entendons.
Il est bon dès lors de nous rappeler ce sage dicton du président Teddy Roosevelt : « Speak softly and carry a big stick », parlez doucement et tenez un gros bâton. Aujourd’hui, nous observons précisément l’inverse. De lourds reproches et sanctions, qui sont faciles à contourner et qui n’auront, au mieux, que des effets à moyen terme.
Mais, comme nous, les marchés d’actions sentent qu’une solution est possible (peut-être d’ailleurs déjà en gestation ?). Sinon, la menace d’une escalade militaire et la flambée hallucinante des prix de l’énergie et des matières premières auraient engagé les bourses dans une sérieuse spirale baissière.
Or, ce n’est certainement pas le cas. Depuis l’invasion le 24 février, la plupart des bourses d’actions ont même progressé et les pertes restent limitées aux constructeurs automobiles européens (et donc allemands), aux marchés émergents de ce même vieux continent (dont la Russie fait partie) et à la Chine (dont les marchés montrent des signes de faiblesse depuis quelque temps déjà).
Tableau 1 : Évolution des bourses depuis le 23-02-2022 (en US $ et €) et depuis le 01-01-2022 (en €)
Comme on s’y attendait, les gagnants manifestes sont les entreprises technologiques américaines qui font toujours plus d’ombre aux autres actions, en raison de leur importance stratégique comme de leur rentabilité.
Ces dernières semaines, nous avons donc continué à renforcer cet accent, avec une attention particulière pour les semi-conducteurs, la cybersécurité et le segment high tech des composants électroniques. L’automatisation et la robotisation restent pour nous un accent très utile à long terme dans la mesure où elles sont susceptibles de résoudre les problèmes de la hausse des coûts salariaux et des pénuries croissantes de personnel qualifié sur le marché du travail.
Cette tendance se renforcera encore à l’avenir, portée par les exigences de plus en plus pointues en termes de compétences techniques et la diminution de la population active. Cette dernière évolution est surtout prégnante au Japon, en Europe et en Chine. Pour le géant rouge, c’est d’ailleurs l’une des principales causes du ralentissement de la croissance économique malgré toutes les mesures de soutien mises en œuvre par l’État. La flambée du nombre de contaminations au covid et les mesures radicales prises pour les enrayer n’y sont pas étrangères non plus. Les autorités chinoises se doivent cependant d’appliquer une approche plus souple à cet égard si elles veulent éviter un arrêt complet de leur appareil industriel autour de Shenzhen et Shanghai.
Aux États-Unis, la pénurie de main-d’œuvre s’explique surtout par la dynamique économique relativement forte. Le très faible taux de chômage actuel (3,8 %) pourrait même tomber, à la fin de l’année, à un plancher de 3,2 %, sur la base du nombre record d’emplois non pourvus aujourd’hui.
Avec un tel taux de chômage, une accélération de la croissance des salaires est quasi inévitable. La banque centrale américaine envisage dès lors de procéder, lors de la prochaine réunion du FOMC le 4 mai, à un superhike et d’augmenter ainsi le taux directeur d’un demi pour cent et non pas d’un quart comme prévu initialement.
Actuellement, le marché attribue même deux chances sur trois à un tel tour de vis radical. Comprenez-nous bien : les autres mouvements de hausse devraient se dérouler comme prévu, ce qui hisserait le taux directeur à 2 %, voire 2,25 % à la fin de l’année. Cela correspond d’ailleurs à 8 ou 9 hikes et non pas à 6 relèvements tels que la Fed le laisse entendre.
D’ici au mois de juin 2023, le taux directeur pourrait même grimper à 2,5 % ou 2,75 %. Un tel niveau peut paraître élevé, mais ce ne serait pas catastrophique. Le taux de la Fed ne serait que légèrement supérieur à son niveau d’avant la pandémie (mais, à l’époque, l’inflation était nettement plus basse et la croissance économique américaine était moins prometteuse).
L’objectif de la Fed est clair comme de l’eau de roche : les indicateurs de l’inflation doivent revenir dans le droit chemin, sans que cela provoque une récession en 2023 ou en 2024 (année électorale). Mais vu le mouvement haussier brusque du taux directeur, il n’est pas impensable que l’économie ralentisse trop fortement.
Il n’existe cependant aucune voie alternative. Les prix au détail dérapent tant actuellement qu’ils menacent d’enclencher une spirale inflationniste, qui ne pourrait être freinée ensuite que par une approche « à la Volcker »2, c’est-à-dire des taux d’intérêt « à deux chiffres », ce qui plomberait sans l’ombre d’un doute la croissance économique.
Selon toute vraisemblance, la BCE devra également relever ses taux à court terme. Une hausse de taux de 25 points de base dans 6 mois est à présent complètement intégrée dans les prix des swaps, avec même une probabilité de 60 % pour un relèvement d’un demi pour cent. À la fin de l’année, on pourrait même arriver à trois quarts de pour cent. Cela ne permettra pas cependant de juguler l’inflation puisque la flambée des prix dans la zone euro est presque entièrement attribuable à la forte augmentation des cours du pétrole, du gaz et des matières premières. Ces prix ne diminueront pas en raison des relèvements des taux d’intérêt en Europe, mais – espérons-le – de la conclusion d’un accord de paix entre les belligérants russes et ukrainiens.
La BCE ne peut cependant pas se permettre de rester les bras croisés. De surcroît, il est plus que temps d’admettre que les taux d’intérêt négatifs ont peu contribué au redressement économique et ne se sont pas traduits par des conditions de crédit plus souples ou favorables. Dès lors, il vaut mieux mettre un terme à cette anomalie. Et le contexte actuel offre l’occasion idéale de ramener le taux directeur au niveau zéro, voire légèrement au-dessus.
Entre-temps, les taux d’intérêt à long terme nous ont également montré leur talent d’alpiniste. Le taux des obligations d’État américaines à 10 ans a grimpé bien au-delà de son niveau d’avant la pandémie. Depuis l’invasion russe, ce taux d’intérêt majeur a progressé de près de 40 points de base. Une telle hausse représente cependant moins que la moitié de la progression totale depuis le début de cette année calamiteuse, ce qui tend à indiquer que les marchés obligataires doivent prendre en compte d’autres sombres perspectives. Et nous voulons parler bien entendu du pire dérapage inflationniste en 4 décennies.
Tableau 2 : Taux des obligations d’État à 10 ans :
Niveau actuel et changement depuis les 01-01-2022, 01-01-2020 et 23-02-2022
Les États-Unis trônent d’ailleurs en tête de la liste des pays ayant connu la plus forte augmentation de leur taux de référence depuis le début de l’année. Mais le taux d’intérêt à long terme moyen dans la zone euro a également progressé de 70 points de base, dont 20 points depuis l’attaque russe.
Le taux européen se situe lui aussi clairement au-dessus du niveau atteint avant la pandémie (dont le début est fixé ici assez arbitrairement au 01.01.2020). Pour bien en comprendre l’impact : multipliez la hausse du taux dans ce tableau par 8 (environ) pour connaître la perte subie par les cours obligataires durant cette période.
Toute panique à cet égard serait cependant de mauvais aloi. La progression attendue des taux d’intérêt à long terme américains est limitée à une vingtaine de points de base pour les douze prochains mois. Dans la zone euro, l’on table sur une hausse de 0,35 % des taux d’intérêt à long terme pour l’année qui vient. Mais nous nous empressons de souligner qu’il s’agit naturellement d’une prévision, basée sur les prix des swaps de ces obligations d’État.
Malgré leur progression substantielle, les rendements actuels de ces titres de dette publique ne sont cependant d’aucun secours pour ceux qui veulent des placements qui préservent leur pouvoir d’achat. Au contraire, l’inflation actuelle excède toujours largement (et même de façon croissante) les taux des obligations d’État. En clair, investir dans un portefeuille composé exclusivement de titres de la dette publique équivaudrait à s’appauvrir sciemment. Même en prenant en compte l’inflation escomptée sur de plus longues périodes (par exemple, une moyenne sur cinq ans), le pouvoir d’achat est toujours sensiblement amputé, tant aux États-Unis que dans la zone euro.
Graphique 1 : Taux d’intérêt réel aux États-Unis et dans la zone euro (taux à 10 ans – taux attendu à 5 ans)
Peut-on l’éviter ? Certainement pas en passant à des investissements à court terme. Certes, ces taux d’intérêt s’adaptent rapidement à la hausse, et sans perte de cours, lorsque le taux directeur remonte, mais ici aussi les relèvements prévus ne sont pas de nature à faire passer la rémunération du placement au-dessus de l’inflation attendue.
D’ici à la mi-2023, l’on prévoit en effet que le taux à court terme aura également atteint son sommet pour ensuite se stabiliser à un niveau largement inférieur au rythme de l’inflation à ce moment-là. L’immobilier se porte bien dans un contexte de baisse des taux d’intérêt et de liquidités croissantes. Mais nous nous dirigeons à présent vers un environnement à l’opposé de ce climat favorable...
Ainsi, les actions confortent leur place de choix dans tout portefeuille d’investissement, adapté naturellement au profil de risque et à l’horizon du client. Des taux réels en baisse profitent aux actions, qui sont donc mieux armées pour résister aux vagues d’inflation, pour autant bien sûr que les entreprises aient la capacité de répercuter sur leurs clients la hausse de leurs coûts de production et des salaires et ainsi préserver leurs marges bénéficiaires.
Certaines entreprises y réussissent mieux que d’autres. Il vaut donc mieux sélectionner les entreprises qui disposent de ce pricing power. Il s’agit généralement de grandes entreprises en croissance dans le secteur de la technologie, des groupes qui, de par leur omniprésence, disposent d’un quasi-monopole ou dont les produits jouissent d’une excellente réputation. D’où les solides performances des indices NASDAQ, NYSE Fang et S&P composite…
Et, entre-temps, comment évolue le front de l’Est ? Espérons que, jeudi, l’OTAN, les États-Unis, le G7 et l’UE auront empreint leurs déclarations d’un ton offrant à l’irascible maître du Kremlin une solution de sortie du conflit qui, tout à la fois, lui évite de perdre la face aux yeux de ses (nombreux) partisans et minimise les malheurs du peuple ukrainien.
Nous ne sommes nullement d’avis que ce conflit serait le prélude à une série de guerres meurtrières. Au contraire, cette invasion brutale démontre à nouveau qu’une puissance militaire ne peut occuper un autre pays qu’à un prix très élevé, sauf à pouvoir compter sur un dirigeant complice comme en Biélorussie. Après la débâcle au Vietnam, en Afghanistan et partiellement aussi en Irak, les Américains en sont les premiers convaincus. Les sanctions économiques infligées à la Russie ont encore accru ce coût pour le pays, alors que son offensive en Ukraine est tout sauf un grand succès militaire.
Peace in our lifetime…?
[1] Aucun de ces objectifs n’a d’ailleurs déjà été atteint.
[2] Paul Volcker, en sa qualité de président de la Fed, a réussi à remettre l’inflation sur de bons rails en employant la manière forte. Il a dirigé la banque centrale américaine de 1979 à 1987 sous les présidences de Carter et Reagan.
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