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Escalade ?
15 mars 2022
Le dérapage des indicateurs d’inflation aux États-Unis et dans la zone euro est de plus en plus préoccupant. L’indice des prix de détail qui vient d’être annoncé aux États-Unis (CPI) n’avait plus été aussi élevé depuis 40 ans. Cet indice a été poussé à la hausse principalement par la progression des prix des services et des loyers. L’inflation des prix des biens se situe elle aussi à un niveau élevé, mais semble avoir pour l’heure atteint un plateau.
Assez curieusement, le chiffre de l’inflation de base n’a pas bondi autant qu’on l’avait craint. Mais ne nous berçons pas d’illusions : la poussée inflationniste de l’énergie, des matières premières et des denrées alimentaires sera bel et bien à terme intégrée dans ce calcul. Et cette inflation de base sera également alimentée dans les prochains mois par l’explosion des cours du gaz et du pétrole, le manque de matières premières et la crainte de pénuries de céréales et de maïs. Même si l’on expurge l’évolution des prix de l’énergie et des produits alimentaires non transformés de l’inflation de base, les effets de second tour hisseront cet indicateur des prix à de nouveaux niveaux record. Des carburants plus chers renchérissent les coûts de transport et la hausse des cours du blé se répercutera sur le prix du pain. Des matières plus chères se traduisent directement, soit par une hausse des prix à la consommation, soit par une érosion des marges bénéficiaires. Aucun de ces deux effets n’est favorable.
Et pourtant, cette évolution ne déclenche aucun mouvement de panique sur les marchés financiers. L’approvisionnement en énergie peut, à un horizon pas si lointain, provenir non plus de la Russie, mais des États-Unis. La production américaine de gaz naturel peut être quadruplée à brève échéance. Dans cette hypothèse, le principal problème resterait cependant le transport : actuellement, il est trop lent et trop cher. La récolte céréalière (froment, maïs, etc.) en Ukraine n’est pas encore perdue si un cessez-le-feu intervient dans deux à trois semaines. À terme, il est possible également de rééquilibrer notre approvisionnement en matières premières, même si l’insuffisance de l’offre perdurera encore quelque temps. Même s’il est aisé d’imaginer toutes sortes de scénarios catastrophes, la situation difficile sur le front de l’énergie et des aliments n’est pas appelée nécessairement à se dégrader davantage.
Sur le front des taux d’intérêt, difficile également d’ignorer la pression haussière. Le taux d’intérêt des obligations d’État américaines à 10 ans a progressé à 2,08 %. Ce niveau marque une augmentation de 0,6 % depuis le début de cette année maudite. Au cours de la même période, la zone euro a connu une progression quasi équivalente du taux d’intérêt à long terme, avec des écarts réduits entre les différents États membres. Ces divergences s’expliquent par l’endettement respectif des pays qui participent à l’union monétaire.
Graphique 1 : Évolution des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et dans la zone euro
La progression des taux d’intérêt à long terme mesurée avant le déclenchement de la pandémie (nous situons ce point quelque peu arbitrairement le 01.01.2020) montre de plus grands écarts, l’augmentation la plus forte étant observée, assez curieusement, en Suisse (+0,84 %) et la plus faible aux États-Unis (+0,18 %). Au sein de la zone euro, les taux montrent également des évolutions divergentes, mais les écarts restent limités. C’est sans conteste le résultat des interventions de la BCE sur les marchés obligataires.
La progression des taux d’intérêt à long terme trouve bien entendu sa source dans la flambée inflationniste, mais elle s’explique également aux États-Unis par un dynamisme économique relativement fort. Dans la zone euro, le redressement économique est moins tonique. La progression des taux d’intérêt à long terme s’explique donc surtout par la hausse des prix à la consommation, des matières premières et de l’énergie. La dépendance européenne au gaz russe n’y est pas étrangère. Aux États-Unis, la demande domestique peut être satisfaite en grande partie par la production intérieure. À l’inverse, la zone euro doit se résoudre actuellement à importer jusqu’à 30 % à 40 % de son gaz auprès de son plus farouche adversaire. Sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie est ainsi dix fois supérieure à celle des États-Unis.
Mais la perspective menaçante de hausses des taux d’intérêt a également son bon côté. La progression des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et en Allemagne reflète également une moindre « fuite vers la qualité », ce qui indique que les marchés accordent désormais une probabilité plus élevée à une fin prochaine du conflit militaire à l’issue de négociations.
Une nouvelle escalade sur le front des taux d’intérêt ne semble donc pas s’imposer…
Les marchés en sont revenus ainsi au scénario prévalant avant l’invasion russe de l’Ukraine : un relèvement graduel du taux directeur américain. À ceci près, et cela a toute son importance, qu’un superhike (c’est-à-dire une augmentation de 50 points de base) le 16 mars semble exclu. En principe, les marchés financiers tablent sur 7 ou 8 hausses successives d’un quart de pour cent, intervenant toutes les six semaines. Si le taux directeur américain suit ce chemin, il retrouverait l’an prochain le niveau atteint avant la pandémie, ce qui traduirait une normalisation de la politique américaine.
Dans la zone euro, le scénario a quelque peu changé après les déclarations récentes de la présidente de la BCE qui a créé la surprise en annonçant une accélération de la réduction de ses rachats d’obligations sur les marchés. Le relèvement attendu du taux directeur européen de 25 points de base interviendrait ainsi au second semestre de l’année, éventuellement suivi par une deuxième hausse à la fin de l’année. Cela ramènerait le taux de dépôt à zéro, après avoir erré sans but durant des années en territoire négatif.
Graphique 2 : Évolution des taux directeurs européens et du taux interbancaire à 3 mois
Reste à savoir si une telle remontée des taux sera d’une quelconque utilité dans la lutte contre l’inflation. La flambée des prix à la consommation en Europe n’est due en effet que partiellement à la hausse de la demande de consommation. Elle résulte surtout de la pénurie de biens intermédiaires dans le processus de production et, plus récemment, du renchérissement des prix de l’énergie, des matières premières et de l’alimentation. Une hausse des taux peut peser sur la demande de biens de consommation, mais n’a aucune incidence digne de ce nom sur les autres tensions inflationnistes à l’œuvre actuellement en Europe.
Mais le thème archidominant reste, cela va sans dire, le(s) développement(s) du conflit militaire. L’agresseur russe resserre encore son étreinte sur l’Ukraine en encerclant les villes. Ce faisant, elle n’hésite pas à recourir à la tactique moyenâgeuse consistant à affamer les populations assiégées et à procéder à des bombardements aveugles pour créer la panique. Une technique typique pour imposer sa volonté à l’adversaire lorsque ce dernier, épuisé par les cris de désespoir de sa population, s’assied à la table des négociations.
Mais le temps joue également contre les Russes. Les sanctions occidentales et la résistance farouche de la population locale épuisent elles aussi leurs moyens. Si bien qu’une solution négociée de ce conflit barbare n’est pas exclue. Cependant, les exigences des Russes sont actuellement encore trop élevées et la résistance de la population ukrainienne est encore loin d’avoir été brisée. Une issue rapide paraît donc très peu probable.
Mais ici aussi une nouvelle escalade n’est pas certaine.
Dans un tel contexte, l’investisseur n’a aucune raison de jouer les héros. Nous restons donc légèrement sous-pondérés en actions, ce qui est déjà suffisamment courageux. Actuellement, nous mettons l’accent sur les États-Unis, et plus particulièrement sur leur secteur technologique. Si le conflit évolue favorablement, les valeurs industrielles européennes reviendront dans notre viseur. Et si l’évolution est défavorable, nous serons contraints de réduire encore le poids du secteur industriel européen.
Mais ce scénario défavorable n’est donc pas inéluctable.
Les pays émergents se trouvent face à un défi de taille. La hauteur des prix alimentaires enclenche une spirale inflationniste qui déstabilise les régimes politiques et les retient ainsi de prendre les mesures nécessaires.
Graphique 3 : Évolution de quelques pays émergents
L’Inde tente de ne pas prendre parti dans le conflit, mais cet exercice d’équilibriste est tout sauf évident, surtout à la lumière de sa précarité sur le plan alimentaire et énergétique. L’attitude de la Chine nous déçoit beaucoup. Le géant rouge manque une occasion idéale de conquérir une position gagnante sur l’échiquier international. La réponse de Pékin à la demande russe de lui apporter un soutien économique, financier et militaire sera déterminante sur le déroulement du conflit dans les prochains jours.
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