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Mille millions de mille sabords
24 février 2022
Dans un conflit, le plus sage est de se mettre quelques instants à la place de chacune des parties pour tenter de mieux appréhender leurs points de vue respectifs. Non pas pour se montrer compréhensifs ou pour prendre à son compte des positions absurdes, mais pour connaître les motivations en jeu et ainsi mieux évaluer et (peut-être) anticiper les prochains coups sur l’échiquier géopolitique.
Arrêtons-nous donc un moment sur le point de vue russe. La Russie se sent méprisée depuis pas moins d’une génération. Ce sentiment a été nourri par l’effondrement du puissant empire soviétique, mais également par le fait que, durant 80 ans, elle n’ait pas été suffisamment estimée pour ses immenses efforts afin d’assurer la victoire des Alliés durant la Seconde Guerre mondiale. La Grande Guerre patriotique, comme on désigne là-bas le conflit mondial, est encore très fraîche dans la mémoire collective. Et, reconnaissons-le, sans la résistance farouche du peuple russe, l’OTAN n’aurait jamais existé. Dès lors, rien que l’idée que son arrière-cour, distante à un jet de pierre de Moscou (une expression au sens à peine figuré), soit exposée aux missiles de l’OTAN, suffit pour transformer une frustration en agression.
Après, tous les prétextes sont bons pour passer à l’action. Tout comme les soi-disant armes de destruction massive avaient motivé l’invasion de l’Irak, l’oppression tout aussi imaginaire de la minorité russophone en Ukraine a été brandie pour justifier une intervention militaire. L’endoctrinement de la population locale qui précède une telle intervention permet à chaque fois de s’assurer son soutien.
Ensuite, les bombardements de précision et l’agression militaire sont destinés à obtenir ce qui n’a pas pu l’être à la table des négociations. La Russie s’assurera que l’Ukraine ne devienne pas membre de l’OTAN en déstabilisant profondément le régime politique à Kiev au prix – s’il le faut – de longues années d’occupation[1]. Après avoir refusé courageusement le statut de pays neutre, l’Ukraine risque à présent d’être reléguée au sort peu enviable d’État vassal.
Les États-Unis ne riposteront pas directement sur le plan militaire ; l’Europe ne le peut ni le veut. L’Occident ne peut réagir qu’à travers de lourdes sanctions économiques et financières. La Russie est à cet égard plus vulnérable que sur le plan militaire. Mais elle dispose également de quelques cartes majeures vu la forte dépendance européenne au gaz sibérien, la demande élevée en énergie et le manque de sources d’approvisionnement alternatives à court terme. Poutine n’a pas choisi par hasard le moment de mettre en œuvre son plan machiavélique.
Bien entendu, les dégâts immédiats sur les marchés financiers sont considérables, ne fût-ce que parce que les prix des matières premières en forte hausse vont faire déraper un peu plus les indicateurs de l’inflation.
Mais, comme toujours, la panique est mauvaise conseillère. Si la situation ne connaît pas une nouvelle escalade, les bourses retrouveront relativement vite leur calme, après une réaction d’effroi initiale. Reste à savoir cependant quel sera l’impact de la hausse des prix de l’énergie. Cette évolution n’est certainement pas bénéfique pour les entreprises industrielles européennes.
Après avoir traversé en 2008 une des crises financières les plus graves en 800 ans, avoir survécu en 2011 à la crise existentielle de la zone monétaire de l’euro, avoir dit adieu sans trop de dégâts au locataire de la Maison-Blanche le plus excentrique en 250 ans, avant d’affronter la plus grande pandémie en un siècle, nous voilà confrontés à présent à la menace militaire la plus sérieuse en 80 ans. Devinez qui gagnera (également) cette fois-ci...
[1] Ce serait cependant très difficile : L’Ukraine est le deuxième plus grand pays d’Europe (après la Russie). Après la Russie et la Turquie, le pays assiégé possède également la plus grande armée terrestre.
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