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Vents contraires
22 février 2021
Non pas que nous ne puissions faire face à une petite bourrasque. Même des chocs tels qu’on en a connu en mars 2020 ne nous effraient pas, pour autant que nous puissions compter sur des baisses de taux d’intérêt qui viennent compenser en bourse le recul temporaire de la croissance économique. Cette baisse du loyer de l’argent gonflera à son tour les chiffres de croissance, surtout si elle va de pair - comme c’est le cas à présent - avec des stimulants économiques massifs.
Nourrie par l’incertitude quant à l’avenir économique, une inévitable vague de panique déferle sur les marchés financiers, ce qui constitue à chaque fois un moment idéal d’entrée en bourse pour tous les investisseurs qui savent conserver la tête froide et repérer les opportunités qui leur sont ainsi offertes. Nos ancêtres médiévaux nous l’avaient déjà appris : c’est en eaux troubles que la pêche est la meilleure. Un bon conseil ne tombe jamais dans l’oreille d’un sourd.
En revanche, il nous est difficile de faire face à ces baisses insidieuses, telles que celles qui passent quasiment inaperçues depuis plusieurs semaines - qui finissent par représenter quelques pourcentages. Un ennemi insaisissable qui alimente les inquiétudes sous-jacentes et mine lentement mais sûrement les piliers de la confiance.
Il ne faut pas chercher très loin la cause de ce malaise lancinant : la crainte tangible d’une poursuite de la hausse des taux d’intérêt à long terme, voire d’une augmentation substantielle, alimentée par une inflation en voie d’accélération. Jusqu’à présent, l’inflation se situe cependant toujours en « mode veille » : elle ne s’observe en tout cas pas encore dans les prix à la consommation. Les prix de gros et l’évolution des cours de certaines matières premières font cependant apparaître une (première) poussée inflationniste. À ces niveaux, il s’agit tout au plus d’un mouvement de rattrapage après la chute des prix durant les périodes les plus désespérées de la pandémie.
Graphique 1 : PPI et CPI aux États-Unis
Mais la crainte d’une éventuelle surchauffe économique augmente après une période historique où les taux directeurs ont été maintenus (trop ?) longtemps à des niveaux extrêmement bas et où l’économie a été stimulée comme jamais auparavant.
Comprenez-nous bien : aucun signe ne prouve actuellement que ces mesures de soutien aient été exagérées. Nous ne voulons pas aller plus vite que la musique. Très peu (rien, en fait) ressort des chiffres de l’inflation de base pour le consommateur, mais nous n’allons certainement pas ignorer les soubresauts dans les chiffres PPI récents1. Mais, pour l’heure, l’inflation attendue2 ne trône pas loin au-dessus de l’objectif de 2 % visé tant par la Réserve fédérale américaine que par la banque centrale européenne. Si bien que les banques Centrales peuvent donc provisoirement en rester à leur position. (Il va de soi que le choc sera d’autant plus grand si elles doivent tout de même modifier leur politique monétaire sous la pression des développements économiques).
Une incertitude croissante n’est pas inhabituelle dans le contexte actuel. Et elle se traduit par la hausse des taux des obligations à long terme. Jusqu’à présent, ce mouvement haussier se passe au compte-gouttes et ne constitue qu’une réaction normale aux baisses drastiques antérieures, ce qui avait conduit à des niveaux de taux extrêmement faibles. Les efforts délibérés des banques centrales, renforcés par les craintes d’une période déflationniste persistante en raison de l’effondrement économique, ont atteint leur cible à l’époque, et cela d’autant plus qu’à la mi-2020, on envisageait encore avec un grand scepticisme l’éventuelle disponibilité d’un vaccin efficace à l’automne.
Graphique 2 : Taux d’intérêt à long terme dans la zone euro et aux États-Unis
Autrement dit : l’augmentation récente des taux d’intérêt à long terme est un signe très positif qui confirme que l’économie se situe indubitablement dans une phase de redressement relativement fort. Mais, à l’instar des excellents résultats d’entreprises atteints au terme du dernier trimestre, ce signal d’espoir n’a pas débouché sur des cours de bourse en hausse. Au contraire, les nouvelles conjoncturelles favorables contrecarrent même la poursuite de la progression des cours. Ne perdons toutefois pas de vue que la plupart des marchés d’actions se situent encore près de leur niveau record. Ils devaient donc anticiper depuis quelque temps déjà la vague actuelle de nouvelles positives.
Malgré la forte progression en 2020, la plupart des indices d’actions affichent toujours une hausse de 3 % à 5 % par rapport au début de l’année. Qui plus est, ne vous laissez pas trop vite induire en erreur par l’évolution de toutes sortes d’indices boursiers généraux qui sont dominés par quelques très grandes entreprises. Traditionnellement, les petites actions sortent gagnantes d’une embellie conjoncturelle (et offrent ainsi le plus de résistance à une hausse des taux qui l’accompagne). L’indice Small Cap ne montre pas en tout cas de symptômes de fatigue, contrairement à l’indice de ses grands frères.
Graphique 3 : Actions Small caps aux États-Unis, par rapport aux Large Caps depuis le 1er janvier 2021.
La succession de plusieurs séances boursières négatives n’est certainement pas due à l’éventuelle crainte d’une résurgence du virus. Au contraire, on le doit plutôt à la conviction croissante que le danger sera suffisamment maîtrisé dans un avenir rapproché. Nous nous garderons cependant de nous réjouir trop vite. Si l’accélération du nombre de contaminations a bel et bien diminué, nous n’en sommes encore qu’à une stabilisation du nombre d’infections. Dans la lutte contre le virus, la vaccination semble cependant produire les résultats raisonnablement espérés. Et, ici et là, un virologue américain ose même avancer qu’une immunité collective3 aurait été atteinte.
Pour l’instant, les baisses boursières restent très limitées, mais n’en sont pas moins irritantes puisqu’elles se produisent au moment même où les entreprises affichent des résultats étonnamment bons et où l’économie montre d’incontestables signes de redressement. Mais c’est précisément ce qui alimente l’inquiétude sur l’évolution future des taux d’intérêt et la crainte d’une surchauffe économique. Le coup d’envoi de cette série de petits reculs exaspérants a été donné par la publication de ventes au détail aux États-Unis. Ces coups de rabot semblent cependant se focaliser sur les grandes actions, axées sur la croissance.
Graphique 4 : Ventes au détail et confiance des consommateurs aux États-Unis
Plus consternant encore, les actions des entreprises des secteurs des voyages et des banques semblent apprécier ce scénario, alors que des entreprises pouvant s’appuyer sur de solides bénéfices, des marges opérationnelles robustes et un portefeuille riche en produits innovants perdent du terrain. Dans le secteur des voyages, ce sont même les opérateurs de croisière qui remontent le courant à toute vapeur4. Toujours est-il que de telles actions resteront bel et bien absentes de notre sélection en raison de leur empreinte écologique excessive.
La progression des actions bancaires européennes est due principalement à la hausse des taux d’intérêt, sur la base de la conviction erronée que ce mouvement accroît leur potentiel bénéficiaire. Les grandes banques européennes sont ainsi amenées à croire à leur propre fable, selon laquelle la faiblesse des taux d’intérêt est la cause de la médiocrité de leurs résultats d’entreprises. En réalité, la dégringolade de leurs bénéfices date déjà de 20 ans. Qui plus est, tout au long de cette période de taux au plancher, les marges d’intérêts des banques sont restées intactes dans tous les segments de l’octroi de crédits5.
Ni le taux offert sur les livrets d’épargne (qui est resté positif) ni le taux interbancaire négatif n’expliquent donc l’évolution des bénéfices bancaires. Les bénéfices se situent actuellement à moins de 50 % de leur niveau de 2000. Le déclin des grandes banques européennes est attribuable plutôt à leur difficulté à continuer à réduire leurs coûts, notamment en raison des obligations administratives croissantes, alors qu’elles sont contraintes d’investir continuellement dans le développement, la maintenance et la protection de plateformes numériques.
La crainte d’un dérapage inflationniste est surtout alimentée, comme toujours, par l’évolution des prix des matières premières, en raison de leur impact potentiel sur les marges des entreprises industrielles de croissance. Pour maintenir ces marges, les entreprises disposant d’un pricing power suffisant répercuteront la hausse de leurs coûts6 dans le prix de leurs produits, ce qui dopera encore l’inflation. Ce sont surtout les prix des matières premières dites « avancées » (comme le cuivre) qui sont tenus à l’œil. Dans leur grande majorité, les matières premières sont revenues à présent à leur niveau de cours d’avant la crise, mais les prix de certaines (comme le cuivre) sont déjà nettement plus haut. Cette évolution, d’une part, confirme le scénario conjoncturel positif, mais d’autre part, fait également les choux gras de tous ceux qui craignent le spectre de l’inflation.
Graphique 5 : Évolution des prix des matières premières en US $ depuis le 1er janvier 2020
À cet égard, nous examinons surtout l’évolution des salaires. Mais les chiffres en question ne sont pas encore fiables, vu le chaos actuel sur les marchés du travail. Un contre-indicateur de l’inflation est encore constitué en tout cas par la faiblesse persistante de la croissance de l’emploi aux États-Unis.
Mais les taux d’intérêt à long terme continuent à grimper, nous ne pouvons le nier. Cette hausse n’est que très progressive, tout au plus quelques points de base par jour. Cela reflète le fait que les marchés financiers ne la craignent pas encore outre mesure, mais s’arment contre l’éventualité d’une réaction trop tardive des banques centrales. Dans le contexte actuel, il n’est pas inimaginable en effet que ces banques centrales n’osent pas durcir leur politique monétaire, même si cela s’avère nécessaire.
Des hausses de taux d’intérêt de bon aloi ne constituent certainement pas une catastrophe pour les actions, mais elles n’en font pas moins disparaître l’une des sources d’énergie (les baisses de taux) de l’avion boursier bimoteur. Cela ne peut que rendre le vol plus volatile et inciter les passagers nerveux à regarder par leur hublot si l’autre moteur (la croissance économique attendue) peut toujours maintenir l’appareil dans les airs.
Pour l’heure, cela ne pose cependant pas de problème. Il suffit de garder votre ceinture de sécurité bien attachée, de bien diversifier votre portefeuille, avec un poids croissant de petites valeurs et d’actions industrielles de qualité. La composante obligataire reste inchangée pour l’instant. Cela signifie concrètement : un accent prononcé sur les obligations d’État italiennes et (dans une bien moindre mesure) polonaises et norvégiennes, une sélection bien diversifiée d’obligations d’entreprise scandinaves et américaines à court terme, complétées à la marge par des obligations des marchés émergents asiatiques.
Nous n’avons pas fini notre journée pour autant. Après un week-end de beau temps, il est à nouveau grand temps d’aller ramasser les monceaux de canettes de bière dans les quelques bois que compte encore notre pays. Histoire de faire encore honneur un tant soit peu à notre rang dans le règne animal. Ne fut-ce que pour cela, nous nous impatientons de voir arriver la fin de l’épidémie. Des types bizarres, ces randonneurs.
[1] L’indice PPI est l’abréviation de Producer Price Index, qui reflète l’évolution des prix de gros.
[2L’inflation attendue est déduite des Inflation Linked Bonds. Il s’agit d’obligations dont le coupon distribué annuellement est lié à l’évolution de l’indice d’inflation.
[3]L’immunité collective naît lorsqu’une partie suffisamment grande de la population est immunisée contre le virus et constitue donc un bouclier entre une personne infectée et une personne non immunisée contre la maladie.
[4] Au cours de la semaine écoulée, par exemple, les titres Carnival, Royal Caribbean et Norwegian cruise lines ont bondi respectivement de 16 %, 17 % et 14 %. Depuis le 1er janvier 2020, ces actions n’en affichent pas moins toujours des pertes de 52 %, 41 % et 54 %.
[5] Ni le taux offert sur les livrets d’épargne (qui est resté positif) ni le taux interbancaire négatif n’expliquent donc l’évolution des bénéfices bancaires. Les bénéfices se situent actuellement à moins de 50 % de leur niveau de 2000. Le déclin des grandes banques européennes est attribuable plutôt à leur difficulté à continuer à réduire leurs coûts, notamment en raison des obligations administratives croissantes, alors qu’elles sont contraintes d’investir continuellement dans le développement, la maintenance et la protection de plateformes numériques.
[6] Et au passage, cela désigne également les entreprises qui performent le mieux durant une période inflationniste.
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