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Joueurs de flûte 2.0
7 octobre 2020
Nous connaissons tous la trame de ce conte médiéval. Comme convenu, le joueur de flûte avait débarrassé la ville de Hamelin de tous les rats qui l’infestaient. Mais comme les édiles municipaux refusèrent ensuite de le payer pour ses services, il revint pour emmener tous les enfants (130 pour être précis), les entraînant hors de la ville au son de sa musique. Les jeunes gens de l’époque étaient déjà aisément influençables, tout comme à présent le reste de la population également.
Le coronavirus connaît ses classiques, dirait-on, puisqu’il mise pour sévir sur la tendance compulsive de l’espèce humaine à se réunir. On en voit le résultat aujourd’hui : une seconde vague de contaminations. Ce comportement grégaire semble tout aussi obsessionnel dans les plus hautes sphères, comme on a pu l’observer dans la roseraie de la Maison-Blanche quand tout ce beau monde s’est cajolé à qui mieux mieux à l’occasion de la nomination d’un nouveau membre à la Cour suprême. Nous commençons ainsi à éprouver une certaine sympathie pour cette sale petite bestiole. Comme si elle était porteuse d’un message envoyé par Dame Nature. Parce qu’il faut bien le reconnaître à présent : confieriez-vous l’avenir de cette planète à cette bande d’inconscients qui en arrivent même à menacer leur propre espèce pour fanfaronner dans les médias ?
Toujours est-il que les chiffres du coronavirus évoluent très défavorablement depuis plusieurs semaines, malgré un confinement au printemps qui a coûté des tombereaux de milliards d’euros et de dollars. Les marchés financiers n’en restent pas moins relativement sereins : ils estiment improbable un nouveau confinement général et tablent toujours sur la mise au point d’un vaccin efficace dans un avenir plus ou moins proche.
Nous vous signalions depuis quelque temps déjà cette évolution défavorable du taux de contamination en nous fondant sur des statistiques basiques accessibles à tous. Dès lors, pourquoi les politiques n’y ont-ils pas réagi plus tôt ?
Nous n’avons pas la réponse. Entre-temps, la bonne nouvelle est que l’accélération faiblit quelque peu. Si de nouveaux cas continuent donc à grossir les statistiques (en raison en partie de l’augmentation du nombre de tests), cela se passe à un rythme moins soutenu dans les pays les plus touchés, c’est-à-dire la Belgique, les Pays-Bas, la France et l’Espagne. Cette relative décélération s’explique peut-être par l’obligation du port du masque, mais nous l’attribuons plutôt au virus lui-même, qui semble en avoir assez de ce triomphe sans gloire. Quand l’adversaire n’est pas à la hauteur, on finit par se lasser. Aux yeux de la Covid-19, ce combat contre l’espèce humaine commence à ressembler à un match de football amical contre San Marino ou Andorre.
Mais la question de l’heure est comment arrêter à nouveau cette évolution ? Nous nous permettons de le répéter : une pandémie (tout comme une crise financière) se propage selon un schéma bien défini, en phases successives. Dans un premier temps, sans que l’on sache pourquoi, un facteur de risque important se développe. Dans la phase de corrélation qui suit, on peut cependant encore facilement l’arrêter net en prenant des mesures simples (comme la distanciation sociale et le port du masque). Et si elles s’avèrent peu efficaces, par manque de discipline, ce n’est toujours pas une catastrophe, comme la Chine l’a démontré magistralement. Il faut surtout éviter l’étape suivante : la phase de concentration provoquée par de grands rassemblements de personnes, ce qui permet au virus de s’en donner à cœur joie.
Mais la puissance du lobby des secteurs du tourisme et de l’événementiel, ajoutée à l’invraisemblable mauvais exemple des grands de ce monde, comme Boris Johnson il y a quelques mois et Donald Trump et son entourage à présent, et la nécessaire réouverture des écoles secondaires et universités, ont ouvert la voie au triomphe du virus, inédit dans l’histoire.
Les marchés financiers se sont tout de même encore un peu inquiétés du test positif de Trump, qui semblait pourtant le citoyen le mieux protégé au monde. Rien ni personne n’y avait réussi jusqu’à présent, même pas les terroristes du 11 septembre : pénétrer dans la résidence officielle du président américain. Le virus y a fait ce qu’il a voulu. Juste pour le plaisir.
Mais n’allez pas imaginer que le recul de la bourse était sa façon à elle de verser quelques larmes à l’idée d’un dénouement fatal pour ce président capricieux. Ce n’était même pas des larmes de crocodile : cela fait déjà plusieurs semaines en effet que Wall Street a largement retiré son soutien à l’actuel président. Les marchés d’obligations et d’actions ne craignaient pas l’incertitude créée par un éventuel vide du pouvoir, mais s’inquiétaient surtout du retard pris à approuver des mesures de soutien économique et fiscal.
Le court rally boursier qui a suivi le retour de Trump à la Maison-Blanche ne devait donc pas être pris trop personnellement. Les investisseurs étaient surtout rassurés par le fait que le président pouvait à nouveau signer un tel deal de soutien. Et, le cas échéant, la signature de son vice-président aurait d’ailleurs pu suffire également, s’il avait dû le remplacer.
Mais l’hôte de la Maison-Blanche n’a pas interprété la hausse des bourses de cette manière, y voyant plutôt un hommage à sa « grandeur ». Le soir même de son retour miraculeux, il torpillait tous les espoirs d’un deal négocié avec les Démocrates et les bourses repiquaient du nez. Ce faisant, Trump semble désormais avoir perdu toute chance de bénéficier du soutien important de Wall Street.
Mais après avoir réagi négativement à cette déconvenue, les investisseurs se sont persuadés que ce n’était finalement que partie remise, le temps que Biden soit élu président et concocte rapidement un nouveau paquet de mesures de soutien. Du moins, si le Sénat n’y fait pas obstacle. Mais, même dans l’éventualité de plus en plus improbable d’une victoire de Trump, les marchés tablent sur un nouveau soutien colossal de l’économie américaine.
Il n’est pas dit du reste que les dernières frasques funestes du camp Trump minent vraiment les chances de réélection de leur favori. Nous pensions même l’inverse il y a peu. Les débats télévisuels traditionnels prévus avant la contamination de Trump auraient sans doute amené un nombre substantiel d’électeurs à préférer Biden, en raison des attaques personnelles déplacées et du comportement inutilement agressif de Trump.
À présent que ces débats sont annulés, le président sortant peut se construire une image de leader courageux qui a lui-même combattu le monstre (dans l’hypothèse où il remporte la victoire). Il conforte ainsi son image de leader messianique autoproclamé, aux allures de Rocky et matinées d’une bonne dose de Dirty Harry. Un superhéros, en somme. Une partie du public américain est sensible à ce récit cousu de fil blanc.
Mais, à ce jour, les sondages infirment cette analyse : ils donnent une avance croissante à Joe Biden. Cette échappée du candidat démocrate rassure les bourses. Le pire des scénarios serait en effet une victoire de justesse de Biden, qui risquerait d’amener les partisans de Trump à contester violemment dans la rue le résultat des élections.
Une large victoire du candidat démocrate est donc considérée à présent comme le scénario souhaitable par les grandes sociétés financières. Certes, la politique américaine opèrerait un virage à gauche assez sec, accompagné d’attaques contre quelques grands groupes pharmaceutiques et plusieurs géants d’autres secteurs afin que les impôts qu’ils paient correspondent plus à la hauteur de leur chiffre d’affaires. Mais ces craintes sont plus que compensées par la perspective d’un nouveau plan de soutien économique colossal.
Malheureusement, les considérations politiques domineront encore l’actualité au cours des prochaines semaines : les électeurs américains ont encore 26 jours pour décider quel sera leur candidat de prédilection. Si les prochains développements politiques sont difficiles à prévoir, il ne faut pas en surestimer l’incidence à long terme. Mais quelques tendances de fond persisteront.
En cas de victoire démocrate, il semble que le rally boursier soutenu jusqu’à présent par un nombre limité d’entreprises concernera désormais un éventail plus large de valeurs. Ainsi, le style d’investissement glissera des titres Large Cap Growth aux Small Cap Growth. Au cours des années écoulées, ce sont quelques (très) grandes entreprises ayant un potentiel de croissance élevé qui ont dominé les bourses. Il semble vraisemblable que les entreprises en croissance plus petites accapareront désormais l’attention des marchés. Pour être performants, les investisseurs devront donc se doter d’un portefeuille d’investissement encore plus diversifié qu’auparavant.
Graphique 1 : Évolution des petites et grandes entreprises en croissance depuis le 01-01-2020
Malgré que les évolutions politiques monopoliseront toute l’attention au cours des prochaines semaines, nous restons braqués pour notre part sur les tendances économiques de fond. Les dernières statistiques confirment le scénario de la poursuite du redressement économique à un rythme soutenu.
Les chiffres du principal baromètre du secteur industriel aux États-Unis sont parfaitement conformes aux attentes, pointant la poursuite du mouvement de rattrapage. Les indicateurs conjoncturels en Allemagne permettent d’entrevoir la même évolution positive. Et l’activité de l’important secteur des services américain est même passée à la vitesse supérieure. Si les chiffres du chômage, publiés vendredi, n’ont pas fait la une des médias - qui se focalisaient sur la contamination de Trump et d’une bonne partie de ses collaborateurs directs - ils n’en révélaient pas moins une solide croissance des créations d’emplois (+661 000).
En faisant preuve de la concentration, du sérieux et de la discipline nécessaires, il est possible d’arrêter une pandémie (ou toute autre crise systémique), comme la Chine l’a démontré sans contestation possible. L’économie chinoise a réussi à se redresser vigoureusement : les ventes au détail et le secteur touristique domestique tournent à nouveau à plein régime. Le pays organise même des dizaines de festivals de musique où se presse la jeunesse, sans masques ni distanciation imposés. Mais les boules quies sont tout de même recommandées pour ceux qui supportent mal les décibels de la musique électronique...
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