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Les premiers seront les derniers. Pendant quelque temps du moins.
7 septembre 2020
Le rally boursier miraculeux de 2020 a propulsé les cours d'une poignée de poids lourds du secteur technologique à des sommets stratosphériques. À cette altitude, l'oxygène se fait rare. Et les trous d'air ne manquent pas. Résultat : ces superhéros ont été contraints à des atterrissages forcés les 3 et 4 septembre. Cette plongée a mis fin du même coup à un des meilleurs étés de l'histoire financière.
La chute abrupte intervenue au début de l'année scolaire présente le même profil que l'ascension boursière qui l'avait précédée : on la doit à un petit club sélect de grands noms de l'économie numérique et de quelques géants technologiques. La symétrie est quasi parfaite : la liste des 20 actions de l'indice S&P 500 qui affichaient les meilleures performances jusqu'à la fin du mois d'août correspond pratiquement aux reculs les plus prononcés observés au cours des premiers jours de septembre : NVIDIA, APPLE, ABIOMED, AMD, PAYPAL, SALESFORCE.COM…
Et les valeurs qui ont accusé les pertes boursières les plus élevées depuis le début de cette année particulière sont donc les grands « gagnants » depuis que la cloche de la rentrée des classes a sonné : les croisiéristes Carnival, Norwegian Cruiselines et Royal Caribbean, à côté d'actions qui avaient fortement reculé précédemment comme United Airlines, PVH, Ralph Lauren et quelques noms financiers. Cette remontée récente est loin de suffire bien entendu pour compenser les lourdes pertes boursières des 8 premiers mois de 2020. Et les uppercuts infligés aux grandes valeurs comme Apple, Amazon ou NVIDIA n'ont fait que grignoter un peu leurs gains précédents. Ainsi, les indices NYSE FANG et NASDAQ sont toujours dans le vert, en affichant respectivement plus 70 % et 25 % de progression(1). On observe d'ailleurs une évolution de cours semblable chez les cryptomonnaies (très spéculatives).
Graphique 1 : Évolution du NYSE FANG, du Bitcoin, du NASDAQ et du MSCI Zone euro depuis le 01.01.2020
Sommes-nous chagrinés par ce retournement récent ? Absolument pas, notre allocation d'actifs ne change pas et nous continuons à mettre l'accent sur l'économie numérique, la cybersécurité, l'automatisation et certaines valeurs du secteur biotech. Au contraire, nous estimons que la chute récente est la bienvenue après une accélération époustouflante au cours des derniers jours du mois des moissons.
Si la presse financière s'obstine à expliquer l'inversion de la tendance par la surévaluation potentielle des actions technologiques les plus performantes, nous y voyons plutôt le résultat de la conviction croissante, dans le chef des investisseurs, qu'un ou plusieurs vaccins efficaces se profilent à l'horizon, ce qui réduit considérablement le risque d'un nouveau confinement. Ces perspectives sont du reste de nature à redonner des couleurs et du souffle aux actions des secteurs les plus lourdement affectés par la pandémie, comme le tourisme, la finance et l'industrie sensible aux aléas de la conjoncture. Nous n'y trouvons rien à redire. Dans ce contexte, les bourses européennes qui s'étaient laissées décrocher jusqu'à présent par les marchés américains (et chinois) en pleine exubérance pourraient reprendre du poil de la bête.
Il est manifeste en tout cas que la conjoncture industrielle, aussi bien aux États-Unis qu'en Chine et en Europe, se redresse cahin-caha. L'activité économique tend à sortir de l'ornière dans laquelle elle était tombée. Les stimulants économiques d'une ampleur inédite et l'extrême faiblesse des taux d'intérêt l'y ont bien aidée.
Comme l'illustre l'amélioration progressive de l'emploi aux États-Unis.
Graphique 2 : Taux de chômage aux États-Unis depuis 1950
Cette évolution provoque ainsi un glissement (limité) dans les pondérations sectorielles au niveau des actions : le poids de la technologie recule au profit des valeurs plus sensibles à la conjoncture, qui étaient restées en retrait au cours des mois écoulés, ce qui s'explique aisément. Les actions qui ont progressé le plus fortement sont donc vendues en premier lieu, ce qui fait temporairement baisser quelque peu les cours des anciens superhéros. Ni plus, ni moins. Les premiers seront (pendant quelque temps) les derniers et inversement.
Autre conséquence à noter : la hausse boursière, qui a commencé à la fin mars, est soutenue désormais par un éventail d'actions beaucoup plus large, ce qui lui donne un cachet moins élitiste et plus démocratique.
Et cela, au moment précis où le processus démocratique semble vaciller dans la deuxième plus grande démocratie de la planète en proie à une campagne pour les élections présidentielles plus tendue que jamais. Il n'est désormais plus exclu qu'un des deux partis contestera – ou attaquera littéralement – le résultat des élections.
Les sondages donnent en tout cas des projections de plus en plus serrées. Si Biden y devance encore Trump de quelques points, il peine manifestement à conserver son leadership, et encore plus à creuser l'écart. Mais si le résultat était couru d'avance, les conséquences d'une victoire d'un candidat ou de l'autre n'en resteraient pas moins aussi difficiles à évaluer. À première vue, la bourse semble préférer Trump. Mais les investisseurs pourraient rapidement retourner leur veste si le président actuel s'avise à relancer les hostilités commerciales à l'encontre de la Chine et de l'Union européenne ou s'il se comporte (encore plus qu'auparavant) comme un électron libre.
Pour l'heure, l'attitude future de Biden à l'égard de la Chine et des entreprises n'est pas très claire. Le président actuel tente de l'amener sur ces terrains pour le contraindre à expliciter ses positions et ainsi perdre des partisans, soit à sa droite, soit à sa gauche.
Mais la situation présente nous donne surtout une impression de déjà vu. L'histoire se répète (parfois jusqu'à en devenir rabâcheuse). Le candidat démocrate aux élections présidentielles de 1968 bénéficiait, dans les sondages, d'un avantage semblable par rapport à son adversaire républicain, Richard Nixon. Personne ne tablait sur sa défaite. Humphrey était en effet l'héritier politique de trois personnages singuliers que (quasi) chaque Américain connaît par leurs initiales en trois lettres : JFK, MLK et le très populaire RFK(2). Les manifestations actuelles sont des enfantillages à côté des émeutes raciales et des troubles qui ont suivi les assassinats de Martin Luther King et de Bobby Kennedy, et cela peu de temps après les soulèvements populaires en Californie en 1965. Le candidat démocrate à la présidentielle s'était engagé sur la voie de la résistance massive en rue. Et Nixon avait joué la carte « Law & Order ». Ce qui a plu finalement à davantage d'Américains (mais de justesse).
Biden se retrouve ainsi devant un choix cornélien. Il ne restera plus à Trump que de jouer sa carte favorite tout au long de la campagne présidentielle. Un peu comme si vous aviez défié Federer(3) pour un duel à la vie à la mort et que vous lui aviez laissé le choix des armes. Il ne fait guère de doute que ce bon Roger vous aurait emmené sur un court de tennis.
[1] En US $, dividendes non inclus.
[2] John F. Kennedy, Martin Luther King et Robert (Bobby) F. Kennedy
[3] Dans la version précédente du texte, nous avions choisi Djokovic, mais nous avons pu la modifier juste à temps…
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