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À l’époque où les Beatles existaient encore
9 février 2023
Les statistiques de l’emploi aux États-Unis publiées vendredi dernier contenaient des chiffres très étonnants qui ont laissé presque tous les observateurs perplexes. La résilience de l’économie américaine (et européenne d’ailleurs) en général et du marché du travail en particulier ne surprend plus personne depuis longtemps, mais une telle robustesse a frappé tous les esprits. Le taux de chômage américain a atteint en effet un plancher record qu’il n’avait plus touché depuis septembre 19681. À l’époque, les Fab Four concoctaient encore leurs chefs-d’œuvre à l’unisson.
Graphique 1 : Taux de chômage aux États-Unis et dans la zone euro
Mais les marchés financiers ont surtout été ébahis par la croissance, en janvier, du nombre de nouveaux emplois d’un mois à l’autre. À 517 000 unités, ce nombre a pulvérisé toutes les prévisions, qui ne tablaient que sur 1/3 de ce chiffre.2
Bonne nouvelle, nous direz-vous, parce que cette évolution minimise le risque d’une récession profonde que l’on craignait très fort encore récemment. Même si l’activité économique devait reculer au premier et/ou au deuxième trimestre 2023, la vigueur du marché du travail empêchera le NBER3 de qualifier cette période de récession.
Graphique 2 : Croissance du nombre d’emplois aux États-Unis en rythme mensuel
Sans vouloir minimiser son éclat, ce chiffre grandiose doit être quelque peu relativisé. Cette statistique comprend en effet 99 000 nouveaux jobs dans les bars et restaurants, ainsi que 15 000 emplois supplémentaires dans les hôtels. D’une part, cela entraîne peu de tensions salariales pour le reste de l’économie, mais d’autre part, malgré ce bond de géant, l’emploi dans ces secteurs reste bien en deçà des niveaux d’avant la pandémie. Par ailleurs, l’augmentation du nombre d’emplois publics découle du retour au travail de 35 000 membres du personnel à la suite à une grève nationale dans l’enseignement supérieur. Et 126 000 emplois temporaires ont été ajoutés au cours du premier mois de l’année en fonction de facteurs purement saisonniers. À titre de comparaison : l’ensemble de l’industrie n’a créé que 19 000 nouveaux emplois.
Les bourses ont piqué du nez après la publication de ces excellents chiffres, qui illustrent cependant la résilience indéniable de l’économie. Les marchés financiers craignent toutefois une réaction excessive de la banque centrale américaine, qui voit dans cette évolution la preuve de la justesse de sa politique monétaire, ce qui la conduira donc à poursuivre inlassablement sur la voie des hausses de son taux directeur.
Avant la publication de ces statistiques, on espérait encore que la Fed appuierait sur le bouton pause après sa dernière hausse d’un quart de pour cent le 1er février. À tort, parce que les banquiers centraux ne veulent pas se voir reprocher d’avoir trop vite baissé la garde dans la lutte contre l’inflation. Ils préfèrent donc resserrer leur politique monétaire d’un cran de trop que trop peu. Mais s’ils escomptaient bien ce resserrement de taux, disons le 22 mars, les marchés tablaient ensuite sur une période relativement longue d’un taux directeur stable qui aurait même commencé à baisser au printemps de 2024.
Ce scénario est désormais abandonné et remplacé par un script intégrant plusieurs relèvements du taux directeur qui arriverait ainsi à 5 % en mai ou en juin. Certes, ce niveau ne serait que de manière marginale supérieur aux attentes antérieures. Mais cela suffit à reporter (à nouveau) de quelques mois dans le futur le redressement des cours sur les marchés financiers.
D’où, naturellement, une énième déception, en particulier pour les actions axées sur la croissance et - surtout - pour les obligations à long terme déjà tellement meurtries.
La banque centrale menace cependant de continuer à faire avaler sa potion amère à un patient qui s’était déjà bien rétabli par lui-même. Le remède imposé est malheureusement bien pire que le mal. L’arme des taux, maniée si violemment, ne parvient en effet jamais à freiner l’inflation lorsque celle-ci est provoquée par des facteurs externes, comme un choc des prix de l’énergie. Tout économiste vous le dira. Loin d’être du moindre secours, le rythme effréné des hausses successives des taux d’intérêt et le langage menaçant de la Fed ont plutôt causé d’importants dégâts sur les marchés obligataires. Il en a résulté une perte de patrimoine substantielle, entre autres chez les fonds de pension, mais aussi chez de nombreux investisseurs institutionnels au profil défensif.
Certes, la première série de hausses de taux que les marchés financiers ont dû encaisser était justifiée, et d’ailleurs largement anticipée, mais les relèvements suivants sont passés complètement à côté de leur objectif.
Les statistiques de l’emploi récentes montrent en effet que cette politique au coût exorbitant n’a pas réussi à ralentir le marché du travail. Elle visait à stopper net l’inflation (des salaires), mais en abandonnant brusquement le marché hypothécaire à son sort, elle a favorisé l’augmentation des loyers, ce qui n’a fait qu’attiser l’inflation au lieu de l’affaiblir. C’est pourquoi le président de la Fed, Powell, nous exhorte maintenant à nous concentrer sur l’évolution de l’inflation, expurgée des loyers. Il nous invite en quelque sorte à ne pas compter les buts contre son camp.
Il ne fait pas de doute cependant que le processus désinflationniste a bel et bien été enclenché. L’inflation poursuit systématiquement sa décrue, grâce à la baisse des coûts des matières premières et du pétrole, et à l’implosion du prix du gaz.4 Les prix des denrées alimentaires ont également chuté de manière significative depuis leur flambée qui a suivi l’invasion militaire du 24 février 2022, mais curieusement, cela ne se ressent pas encore à la caisse des magasins. D’autres réductions de prix sont également mises en œuvre avec une lenteur exaspérante.
Aussi, l’on peut se demander si toutes les hausses de prix qui ont déferlé sur les consommateurs comme un tsunami ne visaient pas, en partie, à étoffer les marges bénéficiaires, un objectif habilement dissimulé derrière le brouillard de l’actualité alarmiste de cette époque5.
À peu près tous les prix des matières premières, de l’énergie et des denrées alimentaires évoluent désormais à des niveaux inférieurs à ceux prévalant avant la barbarie russe. Un examen plus approfondi de l’évolution des prix dans un avenir immédiat est plus indiqué que jamais. Reflètera-t-elle la baisse des prix des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie avec autant d’enthousiasme que pour les hausses qui ont précédé ?
Néanmoins, nous gardons espoir que la Réserve fédérale américaine agira avec suffisamment d’à-propos et cherchera à éviter d’autres dommages inutiles à l’économie et aux marchés obligataires. Le principal argument plaidant en ce sens est la réaction très modérée de la masse salariale, qui ne progresse pas, du moins pour l’instant, à la mesure du dynamisme du marché du travail.
Graphique 3 : Inflation salariale et inflation de base (CPI) aux États-Unis
Malgré le taux de chômage au plancher et le niveau impressionnant de création d’emplois, les augmentations salariales ne dépassent pas 4,4 % en rythme annuel. Le paradoxe n’est pourtant qu’apparent. D’un côté, dans le contexte actuel très difficile et incertain, les emplois ne sont créés que lorsque les nouveaux travailleurs peuvent être mobilisés très efficacement. Mais de l’autre, il y a une raison encore plus évidente. L’examen de l’évolution de l’emploi depuis le début de 2020 révèle que celui-ci n’a que très peu augmenté durant cette période. Il faut en effet se rappeler que l’emploi avait fortement chuté en mars et avril 2020. La conclusion tombe sous le sens : les tensions sur le marché du travail n’ont pas sensiblement augmenté.
La somme de tous les nouveaux jobs créés mensuellement durant toute la période dépasse en effet à peine le nombre d’emplois détruits au début de la pandémie.
Graphique 4 : Somme des emplois créés (et perdus) mensuellement depuis janvier 2020
Plus encore, lorsqu’on analyse cette fois la croissance de la main-d’œuvre disponible aux États-Unis, on peut même avancer que les tensions sur le marché du travail ont diminué. Les emplois nouvellement créés parviennent à peine à absorber l’augmentation de l’offre sur le marché du travail. À peine, mais suffisamment tout de même pour faire baisser encore les chiffres du chômage. Pour l’heure, ce n’est pas de nature à engager les augmentations salariales dans une spirale haussière.
Même si la banque centrale américaine relève ses taux d’intérêt à 5 %, l’économie a prouvé qu’elle saura y résister. L’horizon des marchés d’actions pour les mois à venir reste cependant obscurci par l’évolution attendue des taux d’intérêt et les mauvais résultats du sinistre trimestre écoulé, ce qui rend difficile le démarrage d’un rallye boursier. Par la suite, les cours des actions et des obligations retrouveront sans problème leur trajectoire de croissance historique. Un parcours farouche et agité, parsemé d’allers et retours, comme de coutume. Investir dans la patience est le meilleur placement.
[1] À ceci près que l’offre de main-d’œuvre aux États-Unis est désormais deux fois plus importante qu’il y a 53 ans, ce qui rend d’autant plus flamboyant le tableau actuel. En parlant de 53 : un plancher absolu d’après-guerre a été atteint en mai 1953, avec un taux de chômage de 2,5 %.
[2]Le marché du travail total aux États-Unis compte plus de 160 millions d’unités. Dès lors, un petit taux d’erreur dans les estimations peut rapidement représenter de grands nombres.
[3] National Bureau of Economic Research : le célèbre institut de recherche qui détermine, entre autres, si une période doit ou non être considérée comme une récession.
[4] Même s’il reste encore trois fois supérieur à son niveau en 2018, mais c’est un autre problème.
[5] Comme en 2008-2009, lorsque de nombreuses grandes banques se sont cachées derrière la faillite de Lehman Brothers et le chaos qui a suivi sur les marchés financiers, pour répercuter sans vergogne les pertes de leurs politiques passées sur la communauté ? Les gens aiment soulever à cet égard l’hypothèse de la random contagion. Un mythe selon lequel toutes les banques sont aspirées dans le tourbillon d’une crise financière, y compris les plus saines. D’où l’obligation pour l’État de les sauver toutes pour éviter une débâcle générale. Comme son nom l’indique, un mythe qui n’a cependant jamais été prouvé empiriquement. Lorsque toutes les grandes banques sont aidées sans discernement, une crise n’a pas d’effet curatif comme dans d’autres secteurs et l’industrie financière continue à traîner avec elle ses brebis galeuses.
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