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Trop is te veel
15 juin 2022
L’accélération de la chute des cours des actions aux États-Unis traduit le risque accru de voir le taux directeur américain effectuer un triple bond, de pas moins de 75 points de base, pour tenter d’endiguer l’inflation galopante. Quant à savoir si la banque centrale aura procédé à un tel relèvement inédit, nous l’aurons appris le soir du 15 juin1.
Les commentaires, toujours maladroits, du président de la Fed auront eux aussi été attendus non sans angoisse. La série totale des relèvements du taux d’intérêt à court terme ne se terminerait, selon la prévision la plus récente, qu’à la mi-2023 au niveau de 3,25 % à 3,5 %. Le mouvement haussier serait ainsi plus agressif qu’on l’avait anticipé dans un premier temps. Il implique, après le méga-bond précité en juin, des relèvements de 0,5 % en juillet, septembre et novembre, complétés ensuite par des augmentations de 25 points de base en décembre et, sans doute également, en février 2023.
D’autres resserrements de la politique monétaire seront-ils encore nécessaires par la suite ? Tout dépendra de l’évaluation qui sera effectuée à mi-parcours. Actuellement, on l’estime peu probable, mais rien n’est exclu. Si le taux directeur passe le cap de 3,5 %, nous entrerions en tout cas dans la zone d’une politique monétaire restrictive, ce qui déclencherait immanquablement une récession.
Ces dernières semaines, les marchés avaient certes déjà intégré une augmentation de 0,75 % dans leur scénario relatif aux taux, mais ils ne l’anticipaient qu’à la fin juillet. En définitive, ce relèvement d’une ampleur exceptionnelle n’intervient donc que 6 semaines plus tôt que prévu. En soi, cela n’a rien de dramatique, parce que la Fed avait déjà pris du retard dans sa réponse au dérapage des chiffres de l’inflation, l’obligeant ainsi à s’engager résolument dans un mouvement de rattrapage.
Graphique 1 : Évolution prévue du taux directeur américain
Mais le relèvement additionnel (attendu) du taux directeur de 25 points de base en juin a été le coup de trop pour les marchés boursiers, alarmés de voir ainsi augmenter la probabilité de réalisation du scénario le plus craint : une inflation qu’on ne parvient pas à faire refluer (à temps), alors que les resserrements additionnels de la politique monétaire sont de nature à ralentir considérablement la croissance économique. Trop est vraiment te veel2.
La perspective d’une telle évolution économique défavorable pèse lourdement sur le sentiment boursier et fait entrer les indices d’actions aux États-Unis dans une phase de correction. Les reculs prononcés des cours boursiers, surtout vendredi et lundi derniers, ont surtout visé les entreprises de croissance.
Le signal le plus négatif est venu des marchés obligataires : le taux d’intérêt des obligations à long terme a continué à progresser, malgré le risque accru d’une récession économique. Cette incohérence traduit une fébrilité accrue des marchés, mais également le manque de confiance à l’égard de la banque centrale américaine. Du côté de la zone euro, les taux progressent même encore plus fortement en raison de la résistance limitée qu’offre la BCE à l’inflation. Jeudi dernier, la banque centrale européenne a annoncé qu’elle relèverait son taux directeur3 (en juillet) et qu’elle mettrait fin (plus rapidement que prévu) à son programme de soutien des obligations.
Graphique 2 : Évolution des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et dans la zone euro
C’est la publication du chiffre de l’inflation, vendredi dernier, qui a agi comme un coup de massue sur l’humeur déjà maussade des investisseurs sur les marchés des actions et des obligations. Elle a révélé en effet que le niveau général de l’inflation avait (encore) grimpé, dépassant largement les attentes. Cette accélération imprévue des prix de détail s’explique par les nouvelles hausses des prix de l’énergie et des produits alimentaires, mais également, dans une mesure importante, des loyers et des billets d’avion. Les prix des autres biens et services ont également augmenté sensiblement, mais sont restés dans la fourchette haute des prévisions.
Toujours est-il que l’inflation annuelle évolue désormais au niveau vertigineux de 8,6 %. D’où la crainte des marchés de voir la banque centrale américaine relever son taux directeur à un rythme échevelé, histoire de combler son retard par rapport au dérapage incontrôlé des indicateurs d’inflation. Mais un tel démarrage précipité n’est pas sans provoquer des crampes et menacer l’économie de contractions inutiles.
Au vrai, en réagissant si violemment il y a quelques jours, on peut même se demander si les bourses ne craignaient pas plutôt la réaction de la Fed que les chiffres de l’inflation en tant que tels… Parce que l’examen plus attentif de ces chiffres révèle que l’inflation de base CPI4 commence à s’essouffler et s’engage plus ou moins dans la voie du ralentissement souhaité qui mènera, au cours des prochaines années, à une diminution progressive de la pression des prix.
Graphique 3 : Évolution de l’inflation de base aux États-Unis (CPI, CPE et inflation attendue à 5 ans)
Il faut surtout s’intéresser à l’inflation CPE5, qui sert de guide à la Fed pour sa politique monétaire. Ce chiffre plus modéré ne sera publié, malheureusement, qu’à la fin du mois. Là aussi, la tendance des chiffres de base semble orientée à la baisse. Si une politique efficace contre l’inflation est une absolue nécessité, elle doit cependant nous épargner des électrochocs intempestifs, susceptibles de provoquer des dégâts économiques inutiles.
Il va de soi que nous tablons à terme sur un redressement des cours des actions. Dans une perspective de long terme, chaque recul se profile comme une opportunité, une fois les obstacles surmontés.
Mais il est manifeste que nous n’en sommes pas encore là. Pour y arriver, les exportations alimentaires de l’Ukraine doivent monter en puissance. Le problème concerne surtout le blé. Les autres produits agricoles (comme l’huile de tournesol, le maïs et le soja) sont désormais transportés en grande partie par le rail, la route et la navigation fluviale.
Graphique 4 : Évolution des prix alimentaires (en USD)
Les prix pétroliers doivent refluer. La pression haussière est en réalité surtout provoquée par l’effet pervers (prévisible) des sanctions occidentales sur les importations de pétrole russe. Elles créent une pénurie artificielle et poussent ainsi les prix à des niveaux records, sans provoquer pour autant de baisse de la demande de pétrole6. Entre-temps, la Russie exporte plus de pétrole vers l’Europe qu’avant l’invasion, et cela à un prix (beaucoup) plus élevé… Au Kremlin, on s’en frotte les mains. Une levée de ces sanctions ferait retomber le prix de l’énergie à des niveaux (largement) inférieurs et on frapperait finalement beaucoup plus durement le portefeuille de l’ennemi que ce n’est le cas actuellement. Il en va de même d’ailleurs pour les engrais et fertilisants. Le contraste est frappant : de nombreuses matières premières moins exposées aux sanctions cotent à présent à des prix sensiblement plus bas qu’avant l’invasion.
Graphique 5 : Évolution des prix des matières premières depuis l’invasion
Pour l’heure, nous restons légèrement sous-pondérés en actions, en conservant notre accent sur les entreprises américaines. Mais nous sommes conscients que nous devons nous attendre à un deuxième trimestre difficile en termes de résultats d’entreprises. Entre-temps, la bourse chinoise semble vouloir être la première à se redresser, après une période très difficile, marquée par des mesures anti-covid qui ont entravé durement l’activité des principales régions économiques. À présent, les confinements les plus stricts sont levés progressivement. Si bien que la Chine (avec la Russie…) est à peu près la seule zone économique où les taux d’intérêt diminuent.
Graphique 6 : Évolution de plusieurs bourses mondiales depuis l’invasion militaire.
Sur les marchés obligataires, on se souviendra encore longtemps des évolutions des mois récents. Une telle progression des taux d’intérêt à long terme ne s’était encore jamais produite dans le passé. Elle a ainsi provoqué des pertes (beaucoup) plus lourdes que celles intervenues durant les débâcles de 1993 et 1980. Le pire de cette évolution est sans doute derrière nous. Il sera donc intéressant de compléter progressivement nos positions obligataires fortement sous-pondérées (depuis longtemps) avec des obligations d’État qui offrent à présent une rémunération beaucoup plus élevée. Mais nous nous garderons bien d’aller plus vite que la musique. This is not the beginning of the end, but perhaps the end of the beginning…
Faites preuve de patience, évitez les réactions de panique et veillez à conserver une bonne diversification dans votre portefeuille d’investissement adapté à votre profil. Profitez du beau temps à venir. Rien de tel pour oublier un peu les pertes passagères. Et si cela ne suffit pas : délectez-vous à nouveau de la vidéo de la visite récente de l’Ours Paddington à la Reine d’Angleterre.
1 Au moment d’écrire ces lignes, la probabilité d’assister à ce scénario était estimée à 96 % !
2 (…) en te veel is trop. Pour la jeune génération : cette expression restée célèbre est sortie de la bouche d’un Premier ministre belge dans les années 1960. Depuis lors, elle a même fait son entrée dans le dictionnaire de langue néerlandaise Dikke Vandale.
3 Le taux de dépôt reste cependant encore négatif, si bien qu’il est prématuré de décréter dès aujourd’hui la fin de la période de l’argent gratuit (pour les banques…).
4 Il s’agit des prix de détail, expurgés des mouvements erratiques des prix de l’alimentation et de l’énergie.
5 PCE : Personal Consumption Expenditure.
6 Cela ne se produira que si le prix du baril de pétrole passe le cap de 160 dollars.
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