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Troisième Guerre mondiale
26 mars 2020
Cette fois, point de hordes teutoniques mitraillant tout sur leur passage, comme lorsqu'elles traversèrent la Meuse en 1914. Pas de Stukas non plus qui, comme en mai 1940, déversaient leurs étrons explosifs sur les populations de nos contrées en plein exode. Non, un ennemi insidieux et invisible, qui se gausse de nos systèmes de défense définitivement dépassés par son offensive. Les bombes atomiques à Kleine Brogel et le bouclier antimissile au-dessus des États-Unis appartiennent à l'arsenal des « running gags » des humoristes au pays des virus.
La dernière génération de virus a fait appel aux services des meilleurs stratèges militaires et a tiré les enseignements des expériences de son grand frère SRAS en 2003, de son petit-cousin H1N1 en 2009 et de son illustre aïeul, la grippe espagnole, en 1919. Ne ciblez pas le groupe le plus fort, comme l'avait fait ce meurtrier mais néanmoins téméraire ancêtre : visez les plus faibles. Ne dévoilez pas non plus trop vite vos malins desseins, comme le SRAS, mais attendez patiemment, le temps qu'une victime infectée puisse répandre massivement le virus avant l'apparition des symptômes.
Les troupes ennemies font preuve de la discipline et du leadership d'un Napoléon, de la pugnacité d'un Patton, de la ruse d'un Renard du désert allemand et de la cruauté sans pitié d'un Gengis Khan.
Tétanisés par cette attaque surprise, nous n'avons pas eu d'autre voie de salut que de nous réfugier dans nos bunkers. Résultat : le virus peut sévir plus longtemps, mais sans provoquer un tsunami de contaminés et de malades qui provoquerait un arrêt cardiaque de nos systèmes de santé. Il est possible que nous réussissions à ralentir la propagation de l'infection jusqu'à la mise au point d'un vaccin efficace ou le développement d'une immunité collective[1] qui ferait passer sous l'unité le coefficient de reproduction du virus.
La nature prend sa revanche sur l'humanité en éliminant la population la plus fragile du groupe. Mais, en définitive, cette même nature protégera également le groupe. En se référant à l'évolution de l'épidémie en Chine, le pic est attendu en Europe dans les semaines à venir avant une stabilisation à la fin du mois d'avril. Les États-Unis, où ce schéma est décalé d'un mois, viennent seulement d'entrer dans la première phase, ce qui annonce de prochaines semaines dramatiques.
Contre un tel ennemi, nous sommes effroyablement mal armés. Nous ne pouvons qu'espérer que, confronté à un manque de nouveaux territoires à conquérir, mais aussi à la hausse des températures et de l'humidité de l'air, le virus décide de se retirer dans ses quartiers jusqu'à la saison prochaine. Mais, à ce moment-là, nous pourrons le neutraliser à l'aide d'un nouveau vaccin. Pour autant que le virus n'ait pas muté entre-temps...
Faute de force de frappe biologique, l'humanité fourbit surtout ses armes sur le plan économique et financier. Et là, elle ne lésine pas sur les moyens, en mettant en œuvre des mesures inédites pour atténuer quelque peu l'impact de la récession inévitable et surtout stimuler le plus possible le redressement au second semestre de cette année historique.
Avec des taux d'intérêt aussi bas et des aides publiques massives, qui sont à la fois largement réparties et ciblées sur les secteurs et les groupes les plus affectés, cela ne peut que réussir.
Il faut l'admettre. Nous n'avons pas été tendres avec le parti démocrate américain lorsqu'il rechignait à approuver le plan de soutien proposé au Congrès. L'opposition à l'administration Trump avait sans doute de bonnes raisons de faire la fine bouche, mais ces tergiversations nous ont rappelé les funestes expériences vécues en 2008, lorsque le soutien au secteur bancaire avait été rejeté (partiellement) ce qui avait plongé l'économie mondiale dans la tourmente. Mais majorité et opposition ont fini par s'entendre et ce ne sont pas moins de 2 000 milliards de dollars qui viendront en aide aux entreprises américaines, aux particuliers les plus touchés et aux soins de santé. Avec les mesures déjà mises en œuvre par la Chine, la BCE, l'UE et la banque centrale du Japon, cela devrait suffire.
Il nous reste donc à espérer qu'en 2021 ou ultérieurement nous ne soyons plus préoccupés que par la trop forte hausse du niveau d'activité et l'éventuelle pression inflationniste qui en résulterait.
Profondément soulagées par le vote au Congrès du paquet budgétaire américain, les bourses ont rebondi de manière spectaculaire. Bien entendu, cette éclaircie n'a pas évacué tous les nuages menaçants. Le virus n'a pas encore déployé toute sa puissance dévastatrice aux États-Unis. Son avancée sera sans doute le principal sujet de préoccupation des marchés d'actions dans les semaines à venir, alors que les bonnes nouvelles (les aides publiques massives) seront déjà derrière nous et que leur effet favorable ne pourra se faire sentir qu'au second semestre de l'année. Si le scénario italien dramatique se produit à New York, cette embellie future nous paraîtra bien lointaine.
Toujours est-il que les marchés d'actions ont intégré de manière plutôt rationnelle cette chute brutale de l'économie mondiale dans les cours boursiers. À présent, les indices américains sont assez proches de leur niveau atteint à la Noël 2018, lorsque les marchés financiers avaient souffert de la grande incertitude provoquée par l'attitude totalement incongrue de la banque centrale américaine. Heureusement, la Fed avait rapidement rectifié le tir en procédant à un net assouplissement monétaire, ce qui avait remis les bourses sur la voie de la hausse.
Pour l'heure, nous nous intéressons surtout à l'évolution des spreads de crédit aux États-Unis. En examinant les écarts de taux entre les obligations ayant un rating BBB et celles affichant une notation (beaucoup) plus élevée, il est possible en effet de déduire si les marchés financiers estiment suffisantes les mesures de soutien prises par les autorités.
Pour cela, deux conditions doivent être remplies. D’une part, la Fed doit disposer de suffisamment de budgets et de détermination pour faire face à une chute des cours des obligations BBB. C'est le cas, sans le moindre doute. D'autre part, les agences de rating doivent également être prêtes à confirmer (au moins temporairement) la qualité de crédit de ces obligations. La détérioration des perspectives économiques - c'est un euphémisme - pourrait inciter les agences de notation à revoir à la baisse la qualité de crédit de nombreuses obligations. Ce qui fait surgir un risque de migration très redouté : la dégradation des obligations BBB vers des niveaux inférieurs.
Comme ces obligations, qui constituent d'ailleurs le groupe principal de ce type de titres aux États-Unis, se situent tout juste au niveau « investment grade », elles pourraient donc basculer, en cas de révision, dans la catégorie « speculative grade ». Or, une telle dégradation obligerait de nombreux fonds d'investissement et de pension à se débarrasser de cette position, et cela tous au même moment. Cette avalanche enclencherait un effet domino dévastateur. Ce scénario n'est pas inscrit dans les astres, mais les mesures de la Fed n'ont pas suffi à l'évacuer définitivement. Il fallait les compléter avec un plan d'aide publique aux secteurs et entreprises les plus touchés. D'où l'importance accordée par les marchés financiers au vote au Congrès américain du plan de soutien précité.
Entre-temps, la Chine a commencé à relancer progressivement son économie et se situe ainsi très en avance sur le reste du monde qui doit encore digérer les pires conséquences de la crise. Cela se traduit aussi par des performances relativement bonnes sur les bourses chinoises, par rapport à l'indice mondial.
Graphique 1 : Évolution de divers indices boursiers depuis le 01/01/2020
On peut en tirer cette conclusion simple : les mesures prises semblent (pour l'heure) suffisantes et appropriées pour mettre en branle un redressement au second semestre de 2020. Cette perspective favorable est de nature à stabiliser les bourses. Un mouvement haussier ne sera possible cependant que lorsque les marchés auront une visibilité suffisante sur la fin de la pandémie, ce qui ne devrait pas arriver avant la fin du mois de mai.
D'ici là, les chiffres effroyables du nombre de victimes de la pandémie et la chute de l'activité économique domineront l'actualité et entretiendront une forte volatilité boursière. Sur les marchés financiers, le moment n'est donc pas encore venu d'aller jouer les héros. Le coup d'envoi du redressement des marchés n'est pas pour demain.
Entre-temps, veillez surtout à préserver votre santé. Nous nous ferons en effet un plaisir de vous annoncer quand les marchés seront bel et bien repartis à la hausse.
[1] Cet argument a sans doute été invoqué trop tôt par Boris Johnson, ce qui a permis au virus, à la faveur de quelques grands événements sportifs, de se répandre comme une traînée de poudre au Royaume-Uni.
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