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Le Grand Infarctus
28 mai 2020
Le bébé n'a pas encore de nom, contrairement aux crises économiques précédentes que les peuples, de tout temps, se sont toujours empressés de baptiser. On pense ainsi à la Bulle des Mers du sud (South Sea-bubble), à la tulipomanie, à la crise pétrolière de 1973 (et 1979) ou à la Crise générale de 1640, vraisemblablement la plus grave de toutes. Mais les plus connues sont cependant la Bulle internet de 2001, la Grande Dépression de 1930 et la Grande Récession de 2008-2009.
Pour l'heure, l'effondrement actuel n'a toujours pas de surnom et encore moins d'appellation officielle. Pour pallier ce manque, nous proposons de la nommer : Le Grand Infarctus
Une allusion évidente aux soins de santé qui sont au cœur du problème. Et histoire aussi de souligner la gravité de la crise qui, comme les accidents cardiovasculaires, exige de ne pas perdre une minute en atermoiements et autres tergiversations. L'analogie ne s'arrête pas là. En intervenant à temps, avec résolution et professionnalisme, il est possible, comme pour un infarctus, de se rétablir, et même rapidement. Certes, le patient en gardera toujours des séquelles. Ainsi, l'économie mondiale devra modifier radicalement son fonctionnement pour éviter une rechute fatale.
Graphique 1 : Indicateurs économiques conjoncturels dans la zone euro et aux États-Unis
The Great (economic) Stroke : Avouez-le, cette appellation ne manque pas d'allure. Et l'étiquette correspond au flacon, ce qui ne gâche rien.
Notre travail de comparaison avec les crises précédentes s'est avéré riche en enseignements. La crise actuelle, le Grand Infarctus donc, est souvent comparée à la Grande Dépression de 1930-1933 et à la crise financière, appelée Grande Récession, de 2008-2009.
À nos yeux, il est intéressant également d'analyser les éventuelles conséquences néfastes de la création monétaire actuelle, d'une ampleur inédite, à l'aune de l'hyperinflation terrifiante qui a sévi en Allemagne entre 1921 et 1923. Les hausses spectaculaires des actions Nasdaq, plus précisément dans l'indice FAANG et le secteur biotech, font sourciller bon nombre d'observateurs qui se souviennent du sort funeste des actions technologiques sur cette même Bourse américaine en 2001.
De fait, la chute vertigineuse des indicateurs économiques et l'explosion des chiffres du chômage aux États-Unis font immanquablement penser aux années de dépression catastrophiques.
Graphique 2 : Taux de chômage américain
On peut d'ailleurs se demander si la chute de l'activité économique qui a commencé en 1930 ne se serait pas poursuivie pendant des décennies si l'industrie de la guerre n'avait pas remis les gens au travail. Malgré « The New Deal » du président F.D. Roosevelt et les dépenses publiques gigantesques engagées à travers ce plan de redressement, l'économie américaine était en effet déjà retombée en récession en 1937, après une brève embellie conjoncturelle[1].
Cette crise présente toutefois de très grandes divergences avec le contexte actuel. La Grande Dépression a été provoquée par deux gaffes politiques impardonnables. Les autorités ont, d'une part, retiré massivement des liquidités du système bancaire et, d'autre part, relevé brusquement les taux d'intérêt. Les conséquences pour l'économie américaine ont été catastrophiques. Les banques ne pouvaient plus accorder des prêts qu'au compte-gouttes. Cet assèchement du crédit a provoqué des faillites en cascade, fragilisant encore plus le système bancaire.
Le krach boursier d'octobre 1929 est d'ailleurs souvent pointé du doigt comme élément déclencheur de cet effondrement économique. Totalement à tort. Le fait que le célèbre krach de Wall Street a précédé la dépression économique, qui n'a commencé qu'en mai 1930, est une pure coïncidence.
Aujourd'hui, en revanche, on peut craindre beaucoup de choses, mais pas un manque de liquidités. Jamais dans l'histoire, les liquidités mises à disposition n'ont été aussi élevées (mais seront-elles utilisées ?) et les taux d'intérêt aussi bas. Les autorités ont retenu les sages leçons des années 1930.
Il n'en reste pas moins que les taux directeurs des banques centrales ont désormais, selon toute vraisemblance, atteint un plancher. En Europe, ils ne peuvent pas aller plus bas parce que les grandes banques seraient (encore plus) en difficulté. Et aux États-Unis, les autorités sont très réticentes à l'idée de réduire encore leurs taux directeurs parce que cela pourrait mener les taux d'intérêt à court terme en territoire négatif.
Une telle évolution est jugée indésirable parce, d'une part, elle peut créer des distorsions dangereuses, et, d'autre part, parce que les expériences européennes ont montré que ces taux négatifs ont peu, voire aucun effet positif. La Fed mise davantage dans la combinaison d'un taux zéro et de stimulants économiques puissants. Elle n'est pas prête en tout cas à porter seule tout le poids de la crise, comme la BCE a dû s'y résoudre depuis 2011.
Les prix des contrats à terme sur les marchés monétaires n'attribuent d'ailleurs qu'une probabilité de 6 % à une évolution du taux directeur sous le niveau zéro d'ici la fin de l'année. À l'inverse, un relèvement de 25 points de base du taux directeur ne se voit attribuer qu'une probabilité de 2,7 %. Les deux cas de figure sont donc trop improbables pour que nous les intégrions actuellement dans notre analyse.
La récession américaine, qui était un problème local en 1930, n'est devenue d'ailleurs une dépression globale qu'en raison de la forte augmentation des tarifs d'importation américains (surtout sur les produits agricoles) qui a entraîné des mesures de rétorsion partout dans le monde, sous la forme de hausse de droits de douane et de mesures protectionnistes.
Ce qui nous ramène donc directement au principal danger actuel : une aggravation du conflit commercial sino-américain. Le contexte est clair pour tout le monde : Trump a besoin d'un bouc émissaire pour se « dédouaner » de la débâcle dans les soins de santé américains. Et la Chine, de son côté, serait ravie d'attribuer ses difficultés économiques au comportement du président américain. Notamment pour se libérer de son engagement d'importer des volumes gigantesques de produits agricoles américains, qui lui avait permis de conclure en janvier 2020 une paix commerciale provisoire.
Les escarmouches actuelles ont tout au plus rendu les Bourses d'actions et d'obligations un peu plus nerveuses. Tout se passe comme si les deux camps se menaçaient l'un l'autre de déclencher un nouveau conflit commercial, sans vouloir (du moins jusqu'à présent) joindre le geste à la parole.
Quelqu'un serait-il assez fou pour, dans les circonstances économiques actuelles, jeter de l'huile sur le feu en instaurant de fortes hausses de droits de douane ? Une telle stratégie avait d'ailleurs, au moment du conflit commercial en 2019, surtout causé du tort à la propre économie de son instigateur.
Pour l'heure, les marchés préfèrent croire que le bon sens l'emportera et s'intéressent surtout à la réouverture de l'économie aux États-Unis et en Europe.
Jusqu'à présent, seul le cours de change de la monnaie chinoise par rapport au dollar américain reflète cette dégradation du climat. Le yuan reperd du terrain et se rapproche du niveau atteint au plus fort du précédent conflit commercial. Les autorités chinoises veulent-elles signifier par là qu'elles sont prêtes à continuer à déprécier leur monnaie si Trump continue à les menacer de hausses des tarifs douaniers ?
Graphique 3 : Taux de change du yuan par rapport au dollar américain
Comparer l'implosion économique actuelle et la débâcle de 2008-2009 n'est guère féconde non plus : Nous avons déjà amplement souligné que les autorités ont pris cette fois-ci immédiatement les bonnes mesures, contrairement à ce qui s'était passé durant la crise financière. Mais, aux États-Unis, elles étaient tout de même intervenues dès l'automne de 2008, ce qui avait permis à l'économie américaine de se redresser rapidement. En Europe, les bisbilles internes ont retardé beaucoup trop longtemps l'instauration de telles mesures.
Aujourd'hui, le risque relatif au secteur financier est stabilisé. Du moins à en juger par l'évolution des écarts de taux entre les obligations de ratings BBB et AA : ils ne se creusent plus. Cette stabilisation est à nouveau le fruit de l'attitude des banques centrales, tant américaine qu'européenne : elles ont clairement fait savoir qu'elles rachèteront également des obligations aux ratings faibles si cela s'avère nécessaire.
Graphique 4 : Écart de rendement entre les obligations européennes de rating BBB et AA
La création monétaire massive à laquelle nous assistons actuellement à l'échelle mondiale réveille chez certains de très mauvais souvenirs : l'hyperinflation allemande en 1921-1923. Cette expérience traumatisante explique d'ailleurs l'idéalisation de la politique monétaire forte que l'Allemagne a menée pendant des décennies par la suite. Cette doctrine a encore inspiré récemment la Cour constitutionnelle allemande dans son jugement qui somme la BCE de justifier sa politique actuelle.
Certes, il faut contrôler sa position monétaire et faire fonctionner les planches à billet avec prudence. Mais l'inflation stratosphérique qui a sévi en Allemagne au début des années 1920 avait aussi été le produit d'une solide dose de mauvaise foi et de calculs politiques cyniques.
Rappelons en effet que l'Allemagne de l'époque, débordant de confiance en elle, avait financé ses dépenses militaires pendant la Première Guerre mondiale en émettant des obligations en masse, alors que le gouvernement français avait préféré augmenter les impôts. Après la guerre, l'Allemagne avait donc une montagne de dettes à rembourser. Et pour alléger la note, rien de tel qu'une inflation élevée...
Cette politique a conduit à une première flambée des prix qui a pu cependant être maîtrisée rapidement grâce à une discipline budgétaire et des hausses d'impôts. Mais cette politique était contraire aux intérêts des partis extrémistes qui tentaient de tirer profit du chaos économique et social.
Craignant d'être les dindons de la farce, les Alliés ont alors exigé des autorités allemandes qu'elles paient les réparations et dédommagements qu'ils leur avaient imposés en devises étrangères et en or. L'achat des dollars, livres et francs français nécessaires a ainsi été financé par une création monétaire massive, ce qui a fait plonger la valeur de la monnaie allemande et renchéri les biens importés.
Pour évoquer cette période, on dit parfois en caricaturant que tapisser une pièce avec des billets de banque revenait moins cher qu'avec du papier peint. En réalité, cette hyperinflation a pu être maîtrisée assez rapidement. Simplement en instaurant une nouvelle monnaie, avec 12 zéros en moins que l'ancienne et gagée sur le patrimoine immobilier allemand. Mais, entre-temps, le but était atteint. La dépréciation monétaire avait complètement érodé les anciennes dettes obligataires et les Alliés ont fini par alléger les dédommagements (qui ne seront d'ailleurs payés par après que très partiellement).
Tout cela pour vous dire que nous ne serions pas étonnés d'observer dans quelque temps une brève flambée inflationniste. Mais, de là à ce qu'elle génère une hyperinflation, il faudrait des autorités malintentionnées, ce qui n'est certainement pas le cas actuellement.
Il nous reste à comparer la crise actuelle avec la chute dramatique de l'indice Nasdaq en 2000-2001, qui avait fait suite une ascension tout aussi spectaculaire des valeurs technologiques. Durant la courte période entre la mi-1999 et le mois de mars 2000, la différence des évolutions respectives des indices Nasdaq et Dow Jones avait culminé à plus de 120 % (!), propulsée par une fièvre d'achats de tout ce qui avait trait, de près ou de loin, à Internet.
Graphique 5 : Évolution des cours des indices Nasdaq et Dow Jones durant la période 1999-2000
À cette époque, il n'était pas encore possible de valoriser les actions sur la base de leurs cash-flows ou bénéfices parce que nous entrions tous en territoire inconnu.
Aujourd'hui, la différence entre les valeurs technologiques et l'indice Dow Jones plus traditionnel n'est « que » de 18 % depuis le début de cette année. La différence avec l'indice NYSE Fang[2] s'élève cependant déjà à 37 %.
Graphique 6 : Évolution des cours des indices Dow Jones, NYSE Fang- et Nasdaq depuis le 01.01.2020
Dans les deux cas, une telle différence n'est pas justifiée et peut se résorber progressivement à mesure que l'économie se redressera effectivement. En outre, actuellement, les valorisations des valeurs technologiques se fondent, dans leur grande majorité, sur des chiffres réels et tangibles. La prime de risque exigée, qui traduit l'équilibre entre le rendement attendu et le risque afférent, nous donne une image tout à fait différente de celle prévalant à l'aube du siècle actuel.
Graphique 7 : Prime de risque attendue (compensation de la volatilité attendue)
En 2000, la prime de risque générale était particulièrement basse. Les Bourses ne disposaient donc d'aucun amortisseur en cas de dégradation conjoncturelle. Les primes de risque actuelles se situent toujours au-dessus de leur moyenne à long terme, tant de manière générale que pour les valeurs technologiques. Pour l'heure, on ne peut donc pas parler d'une surévaluation manifeste comme en 2000.
La volatilité, comme mesure des fluctuations boursières attendues, diminue chaque jour, mais se situe encore, au niveau de 28 %, au-dessus de l'observation moyenne de 20 %. De tels niveaux nous empêchent de hisser résolument la position en actions au-dessus du niveau neutre, même si les primes de risque indiquent que les actions sont valorisées correctement. C'est suffisant en tout cas pour conserver un niveau neutre. Pour passer à une surpondération, nous préférons attendre que le niveau de volatilité attendue revienne à un niveau inférieur.
Graphique 8 : Volatilité attendue sur les Bourses américaines et européennes
Il n'est jamais facile de prédire l'avenir. Et il faut se garder de tirer des enseignements de comparaisons superficielles avec les périodes de crise précédentes. Si quelques points communs peuvent s'en dégager, les effondrements économiques du passé présentent surtout de nombreux points de divergence avec le contexte actuel, éminemment unique.
La principale opportunité est offerte par la combinaison de faibles taux d'intérêt et de stimulants financiers susceptibles de soutenir un puissant redressement économique. Le principal risque se situe dans l'éventuelle escalade du conflit commercial sino-américain. Et le virus, naturellement. Comment avons-nous pu l'oublier ? Nous partons du principe que d'ici à la deuxième (et troisième) vague de contamination, un vaccin sera sur le marché. Sinon, nous aurons au moins appris à gérer des masques buccaux et à parfaire notre hygiène. Nous ne pouvons plus nous payer le luxe d'un second confinement.
[1] Cette rechute est attribuée à un relèvement trop rapide des taux d'intérêt directeurs de la banque centrale américaine.
[2] Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Alphabet, Twitter, Nvidia, Tesla, Alibaba, Baidu
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