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À propos d'une récession fantôme, de banques de l'ombre et de bourses qui ont peur de leur ombre
2 mai 2023
La saison des résultats d'entreprises au premier trimestre bat son plein. Sur le Vieux continent, pas moins de 56 % des entreprises ont affiché de meilleurs résultats que prévu. Certes, seule une minorité des sociétés cotées a déjà publié son bulletin pour ce trimestre passablement turbulent.
Pour des chiffres plus impressionnants, il faut traverser l'océan Atlantique. Sur plus de la moitié des entreprises du S&P 500 ayant annoncé leurs résultats, près de 80 % des entreprises américaines ont publié de meilleurs chiffres que prévu. La prévision initiale est dépassée en moyenne de 7 %.
Mais comme en Europe, cela ne suffit pas à éviter une (nouvelle) contraction des bénéfices des entreprises sur une base trimestrielle. Et qui plus est, les perspectives sombres pour le trimestre à venir empêchent les bonnes surprises de déboucher sur une hausse des cours des actions. Seule une poignée d'entreprises1 ont vu leurs résultats d'exploitation plus élevés que prévu se traduire par une hausse substantielle et méritée du cours de leurs actions.
Les bénéfices tonitruants du géant boursier Amazon ont déclenché dans un premier temps une forte hausse (+11 %) de son cours, après-bourse. Mais cet enthousiasme s'est complètement évanoui lorsque les craintes d'une récession économique imminente ont repris le dessus. Ce n'est sans doute que reculer pour mieux réaliser une percée ultérieure si la banque centrale américaine annonce un plafonnement de son taux directeur à 5 %, après une dernière (?) augmentation de 25 points de base le 3 mai.
De son côté, la BCE ne voudra probablement appuyer sur le bouton de pause qu'après deux relèvements supplémentaires d'un quart de pour cent. Une action totalement vaine pour lutter contre une inflation de base européenne très tenace, mais qui servira fort opportunément d'excuse plus tard pour prétendre que tout aura été fait pour briser la vague d'inflation. Alors qu'au contraire, cette politique a alimenté l'inflation de base par le biais de coûts de financement plus élevés.
Certes, nous sommes déçus que les bénéfices étonnamment élevés des entreprises ne se répercutent pas sur l'évolution des marchés des actions. Mais vous ne nous entendrez pas prétendre que les prix des actions dans le monde entier peuvent être considérés comme bon marché. Au contraire, les niveaux actuels tiennent compte d'un recul conjoncturel limité2 et intègrent déjà la reprise robuste, anticipée à l'automne 2023.
Un positionnement audacieux, mais justifié, à moins que les indicateurs économiques ne plongent de manière inattendue dans les mois à venir, ce qui mettrait les dépenses de consommation sous pression et ferait entrer l'économie dans une récession plus profonde que ce que l'on croit aujourd'hui.
Entre-temps, les indices boursiers américains et européens (indice return en euro) ont dépassé le niveau d'avant l'invasion du 23-02-2022.
Graphique 1 : Évolution boursière depuis l'invasion russe (indice return en US $)
La plupart des indicateurs avancés confirment le scénario d'un léger ralentissement de l'économie américaine et d'une évolution plus ou moins linéaire de la conjoncture dans la zone euro. Il est vrai que le récent chiffre du PIB des États-Unis a été étonnamment mauvais, et que les craintes concernant le plafond de la dette américaine ont également redoublé dans l'intervalle. De fait, les dépenses publiques ont un rôle important à jouer pour prévenir une récession trop profonde et soutenir le redressement qui s'ensuit.
Le gel des dépenses publiques pourrait donc avoir des conséquences problématiques. Sans un accord politique sur le relèvement du plafond de la dette, le Trésor américain risque en effet de manquer de fonds début juin pour rembourser les obligations d'État arrivant à échéance. Ne craignez cependant pas une faillite immédiate de l'État américain. La banque centrale dispose d'une panoplie d'astuces pour s'assurer que le grand orchestre joue encore quelques mois.
La menace la plus immédiate serait une fermeture prolongée des administrations et un report des investissements publics. On s'attend à ce que l'opposition républicaine frappe fort en exigeant un bon nombre de réductions des dépenses publiques, tout en veillant à ne pas créer une crise fondamentale. Les expériences passées lui ont appris en effet que se montrer inflexible ne plaît pas à son électorat. Mais aucun politicien ne laisse passer l'occasion de déclencher un drame ni d’attirer l'attention des médias, de sorte que les marchés financiers serrent un peu plus le frein à main en attendant que l'orage passe.
Ce contexte pèse non seulement sur les bourses d'actions, mais affecte aussi indéniablement les marchés obligataires, qui se voient privés de la possibilité d'amorcer un mouvement de reprise fondamental.
Hélas, il est manifeste que nous n’en sommes pas encore là dans le pays obligataire. Même si la situation n'est plus aussi désespérée aux États-Unis : il ne reste plus que 10 % à rattraper pour revenir au niveau de début 2022, alors qu'aucune nouvelle perte significative n'a été enregistrée au cours de l'année écoulée. Quant à la zone euro, elle doit encore reprendre en moyenne 15 % pour combler son débours depuis le 01-01-2022, alors qu'au cours des 12 derniers mois, les pertes se sont encore creusées de 8 % sous la pression persistante d'indicateurs d'inflation qui ont commencé leur ascension sur le Vieux continent plus tard qu'aux États-Unis et qui y refluent désormais plus lentement.
Pourtant, des deux côtés de l'Atlantique, l'inflation générale diminue indubitablement. La tendance baissière actuelle est même plus rapide que dans les années 1980. Cette évolution est tout à fait conforme à nos attentes, à savoir que les baisses substantielles des prix des matières premières et de l'énergie au cours des derniers trimestres se traduisent par une diminution des pressions inflationnistes.
Graphique 2 : Inflation générale, inflation de base et prix alimentaires dans la zone euro
Mais l'inflation de base reste obstinément élevée. Les entreprises répercutent en effet leurs coûts de financement (beaucoup) plus élevés sur les consommateurs finaux, ce qui empêche l'inflation de base de s'orienter à la baisse. La Fed et la BCE s'imaginaient-elles vraiment que les entreprises renonceraient à préserver leurs marges et ne tiendraient pas compte de l'augmentation des taux d'intérêt dans leur prix de revient ? La remontée des taux d'intérêt, tant à court qu'à long terme, imposée par les banques centrales ne réussit qu'à perpétuer l'inflation de base et certainement pas à la combattre.
Il est grand temps toutefois que la Fed fasse une pause, car les politiques qu'elle a menées jusqu'à présent n'ont fait que nuire inutilement à l'économie et mettre en péril le secteur financier. Au vrai, après le récent sauvetage de la First Republic Bank, on ne s'attend pas à un nouveau dérapage. Ne perdez pas de vue cependant que cette faillite est la deuxième plus importante de l'histoire bancaire américaine, après l'implosion de Washington Mutual3 à l'approche de la crise financière de 2008.
Comme toujours, au vu de l'échec pathétique d'un ensemble de règles, on a le réflexe d'en ajouter encore d'autres, plutôt que de se demander pourquoi cette « réglementite » aiguë n'a pas permis, pour la énième fois, d'éviter la défaillance (ou à tout le moins de la signaler à temps).
Cette fois-ci, le modèle d'affaires spécifique de SVB, Signature Bank et First Republic Bank fera l'objet d'un nouveau déluge de dispositions visant principalement les banques qui attirent et convertissent de manière disproportionnée les dépôts d'épargne non sécurisés4 en prêts illiquides sur le marché de l'immobilier ou en placements privés. Ce qui conduira à des exigences en capital plus élevées. Mais ces mesures existaient déjà auparavant...
Pour une raison ou une autre, le régulateur s'est explicitement écarté de ses propres règles, de sorte qu'aucun département de la Fed de San Francisco ne s'est senti tenu d'exercer son rôle d'autorité de surveillance à son égard. Certes, un premier vrai contrôle de cette institution bancaire était bel et bien prévu. Quelque part en 2024.
Ce manquement est d'autant plus fâcheux que chaque cours d'introduction à la gestion des risques comprend un module sur le calcul du DGAP5 d'une banque, qui permet de déterminer assez facilement comment la valeur économique des fonds propres évolue en fonction de l'augmentation des taux d'intérêt. Se pourrait-il qu'un contrôle aussi simple, mais essentiel n'ait pas été effectué ou que l'on ait manifestement détourné son regard lorsque les voyants rouges se sont allumés ?
L'évolution de l'inflation alimentaire en Europe reste au moins aussi exaspérante. Si les prix de gros suivent l'évolution baissière des prix de la plupart des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux, les prix à la caisse des grands magasins restent incroyablement élevés.
Les excuses invoquées sont apparemment suffisamment crédibles pour que cette razzia sur les portefeuilles des consommateurs finaux se poursuive sans pitié... Mais non, les prix de l'énergie n'ont pas augmenté, ils ont chuté. Entre-temps, les prix des engrais ont été divisés par deux. Non, les prix du blé, du soja ou de l'huile de tournesol n'ont pas grimpé après la barbarie russe. Ils ont diminué. Non, les prix des matières premières n'ont pas dérapé. Le cuivre, l'acier, le bois, le cobalt, le plomb, les puces électroniques, l'aluminium... ont vu leur prix baisser sur les marchés mondiaux. Le dollar américain ? En repli...
Quelles sont les implications immédiates pour le positionnement d'un portefeuille d'investissement ? Pas si nombreuses qu'on pourrait le croire : les actions conservent toutes leurs chances, à la stricte condition que le repli économique se limite à une légère récession au cours des deux prochains trimestres. Lorsque l'inflation de base commencera elle aussi à baisser et que les banques centrales auront atteint leurs taux d'intérêt plafonds, le printemps pourrait également poindre pour les obligations.
Pendant ce temps, nous continuons à labourer. Après tout, en faisant preuve de patience, de courage, de persévérance et de résilience, on peut obtenir beaucoup plus qu'avec des lamentations à courte vue, des gémissements paniqués ou un défaitisme paralysant.
1Ces exceptions sont, entre autres, Intuitive Surgical, Microsoft (dans une moindre mesure), Meta Platforms et Manhattan Associates. Mais il nous aurait été difficile d'encore allonger cette liste.
2Ceux qui veulent vraiment être à la page qualifient de « récession fantôme » ce creux conjoncturel attendu.
3À l'époque également, cette banque en faillite avait été rachetée par JP Morgan, ainsi que par Bear Sterns, entre autres. Des calculs ultérieurs ont montré que les repreneurs avaient réalisé là un investissement particulièrement lucratif. Cette fois encore, l'acquisition de First Republic devrait déjà être largement rentabilisée d'ici la fin de l'année.
4Ces dépôts non sécurisés sont très volatils et se déplacent rapidement lorsque des malversations sont détectées ou qu'une meilleure rémunération est proposée ailleurs. C'est manifestement ce qui se passe actuellement, puisque les fonds du marché monétaire américain offrent des rendements (bien) supérieurs à ceux des dépôts d'épargne. La SEC (le gendarme des marchés boursiers) a donc immédiatement pointé du doigt ces fonds du marché monétaire (ou banques de l'ombre)
5DGAP se réfère au duration gap d'une banque. C'est la différence entre les échéances pondérées à l'actif du bilan et le financement mobilisé. Cela permet de se faire une idée assez précise de l'impact d'une hausse des taux d'intérêt sur la solvabilité d'une institution financière. Ce calcul est complété par six tests de résistance supplémentaires qui identifient l'impact des hausses respectives des taux d'intérêt à court et à long terme lorsqu'elles prennent des proportions différentes. Donnez-nous une demi-heure et vous deviendrez incollable à ce sujet. Munissez-vous simplement d’une calculette.
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