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Yin et yang
3 juin 2021
Nous le tenons d'authentiques connaisseurs. Composer une joyeuse ritournelle requiert dix fois plus d'énergie que de pondre une énième psalmodie funèbre. Il ne faut pas chercher plus loin la raison de l'omniprésence sur les ondes des complaintes ésotériques et pathétiques sur des relations brisées et des espoirs déçus. Cela revient tout simplement moins cher. Il en va de même pour les commentaires financiers. Personne ne veut prendre le risque d'exprimer une vision positive sur le long terme pour ensuite devoir affronter la bronca du public lorsque, le lendemain, les bourses mondiales ont perdu quelques plumes. Mais celles et ceux qui savent s'abstraire de l'écume des jours n'oublient jamais le splendide parcours des marchés d'actions au cours de ces 30 dernières années.
Graphique 1 : Indice mondial des actions en euros depuis le 01.01.1991
En prenant comme point de départ le 01-01-1991, la valeur de l'indice mondial des actions MSCI1 a été multipliée par treize. Les 100 euros que vous auriez investis à ce moment-là valent à présent 1 322 euros, ce qui intègre l'évolution des cours et les dividendes (nets) réinvestis. En réalité, les bourses mondiales n'ont fait que répéter au cours des trente dernières années le parcours suivi lors des 220 années précédentes. Et si cette démonstration ne suffisait pas encore, l'indice return des actions américaines a même grimpé à 2 445 euros, une performance qui a été dépassée récemment par le MSCI suédois qui a grimpé jusqu'à 2 681 euros au cours de cette même période. Mais c'est un autre pays scandinave, le Danemark, qui remporte la palme. Un investissement de 100 euros en 1991 y pèse à présent la coquette somme de 3 286 euros.
Et en Belgique, nous demanderez-vous : 619 euros... la main de fer des grandes banques belges et le manque manifeste de grandes entreprises innovantes sur notre place boursière n'ont guère rapporté aux Belgiuminans2. Mais ces Danois ? Nous leur rabattrons bientôt le caquet sur le tapis vert, celui qui compte vraiment...
Et l'inflation alors, vous entends-je déjà nous rétorquer. L'indice des prix belge a progressé durant cette période de 76 %, soit (un peu moins de) 2 % en base annuelle. En clair, si le rendement de vos investissements est inférieur (ou supérieur) à 2 % en base annuelle, vous avez perdu (ou gagné) en pouvoir d'achat. Mais c'est vraiment un objectif minimaliste.
Le véritable défi ne consistait pas à préserver le pouvoir d'achat de ses avoirs épargnés et investis, mais de les faire coller à l'évolution de la prospérité. Dans quelle mesure avez-vous réussi à suivre ainsi l'économie mondiale ? L'évolution des indices d'actions indique comment il était possible à long terme de faire progresser son épargne parallèlement aux courbes de la croissance économique. Mais avertissons d'emblée celles et ceux qui craignent les turbulences : la mer boursière est traversée par des tempêtes et des tourbillons, synonymes de frayeurs et d'épreuves, et le pire de tout : le petit doigt en forme de reproche de ceux qui sont restés à quai.
Un tel voyage requiert en effet beaucoup de caractère, de patience et de capacité d'encaisser les coups. Et c'est ici que nous aimons ressortir notre proverbe (juif, vieux de 4 000 ans) favori : Celui qui prend le moins de risques à court terme prend le plus de risques à long terme...
Celles et ceux qui veulent éviter le risque baissier à court terme en ne misant que sur des produits d'investissement sans risque, le paieront très cher dans la mesure où ils/elles se seront privés ainsi de toutes les opportunités à long terme.
Nous tous ? Certainement pas. L'analyse de périodes plus courtes révèle qu'un horizon d’investissement d'au moins 10 ans est nécessaire pour obtenir un rendement positif avec une certitude statistique suffisante. Tout le monde ne peut pas se permettre d'attendre un tel laps de temps. La composante actions dans le total d'un portefeuille doit donc être déterminée en fonction du profil de risque individuel de l'investisseur. Les actions ne sont cependant pas la seule cause des variations temporaires dans un portefeuille d'investissement. Dans le contexte actuel, les obligations et les cours de change constituent un risque (au moins) aussi important, vu leurs rendements faméliques. De surcroît, les cours des obligations seront soumis à une pression de plus en plus forte à mesure que l'économie se redressera partout dans le monde.
Cela nous ramène au contexte actuel, dominé par deux facteurs économiques contradictoires, découlant de la même source mais dont l'effet est totalement différent sur les marchés financiers. Yin et yang.
D'une part, les résultats des entreprises attendus sont encore plus élevés que leur niveau record actuel, ce qui ne peut évidemment que faire grimper les bourses. Mais, d'autre part, ce même dynamisme économique qui booste les bénéfices des entreprises exerce également une pression non négligeable sur les indicateurs d'inflation, surtout aux États-Unis mais observable également dans la zone euro.
Mais nous ne sommes pas faits de petit bois. Un ressac économique ou des tensions sur le front géopolitique ne sont pas de nature à nous faire perdre pied. Nous sommes même prêts à regarder droit dans les yeux, sans trop faiblir, les hausses de taux d'intérêt provoquées par la croissance économique soutenue.
Ce n'est que si la hausse des taux découlait (des craintes) d'une escalade de l'inflation que nous ferions également un pas de côté. De telles remontées des taux d'intérêt significatives peuvent en effet freiner la croissance économique. La combinaison de taux plus élevés et d'une croissance économique déclinante (qui en résulterait) constitue en effet le scénario hivernal tant redouté pour les bourses.
Pour l'heure, les indicateurs de l'inflation sont incontestablement orientés à la hausse. Même le timoré PCE (inflation de base)3 que la banque centrale américaine voit comme le principal baromètre de l'évolution des prix aux États-Unis a affiché une étonnante poussée vendredi dernier. 3,1 % en base annuelle, c'est sensiblement supérieur aux 2,9 % attendus par les analystes du marché. La Fed s'est empressée cependant de replacer ce chiffre imprévu dans son contexte en rappelant explicitement sa position à cet égard : toute poussée inflationniste ne doit être vue actuellement que comme une réaction naturelle à la stagnation des prix de détail au cours des 18 mois écoulés. Nous savons cependant aussi qu'il faudra des mois avant de pouvoir vérifier la pertinence (ou non) de cette position. Entre-temps, l'interprétation des indicateurs d'inflation en hausse reste une question de foi.
Les baromètres économiques continuent à annoncer, tant aux États-Unis qu'en Europe, une belle embellie conjoncturelle. Dans la zone euro, les indicateurs avancés de l'industrie atteignent même des niveaux record. Et outre-Atlantique, le redressement en cours depuis plusieurs mois teste actuellement ses limites.
Surtout sur le marché du travail qui affiche des pénuries de main-d'œuvre en raison de ce dynamisme conjoncturel. Cela s'explique partiellement par la réticence des personnes sans emploi à échanger leurs indemnités de chômage contre des jobs mal payés. Pour paraphraser Milton Friedman, l'indécrottable monétariste américain : Si vous payez beaucoup les chômeurs, vous aurez beaucoup de chômeurs4...
Mais les emplois vacants (dont le nombre a explosé) pour des fonctions mieux payées, et donc plus qualifiées, ne sont pas pourvus pour autant. Cette situation est bien entendu de nature à déclencher des tensions sur les salaires, précisément la composante de l'inflation la plus tenace et la plus difficile à combattre. La Fed s'y est cassé les dents en 2006 et 2007.
Les chiffres de l'évolution des salaires aux États-Unis ne permettent pas cependant, du moins pour l'instant, d'y voir clair, vu le contexte économique chaotique de ces dix-huit derniers mois. Mais le brouillard à cet égard commence progressivement à se lever. Il est probable que nous en apprenions davantage ce vendredi (4 juin) avec la publication simultanée des chiffres du chômage, du nombre de créations d'emploi, des nouvelles offres d'emploi et (surtout) de l'évolution des salaires aux États-Unis. Ces annonces sont susceptibles bien entendu de faire tanguer les bourses. Mais nous maintenons notre position : la croissance économique à long terme soutiendra suffisamment les marchés d'actions, indépendamment des chiffres d'inflation auxquels nous serons confrontés à court terme.
Sur le plan de la situation sanitaire, nous observons également une contradiction yin et yang. Le nombre de contaminations actives se stabilise (mais ne faiblit toujours pas !). Et côté positif, le taux d'accélération recule significativement. En raison partiellement de la portée des mesures imposées ces derniers mois, mais aussi sans doute déjà des vaccinations massives. Avons-nous d'ailleurs bien lu ce qui suit ? L'Organisation mondiale de la Santé révèle dans un rapport récent que le nombre de cas de grippe « ordinaire » a chuté de 99 %... grâce au port du masque obligatoire. Cette petite vermine, qui nous frappe depuis 1918 et fait chaque année 100.000 victimes dans le monde, appartiendra-t-elle bientôt aux livres d'histoire ? Chaque inconvénient a son avantage.
D'ailleurs, le nombre de grippes intestinales5 a chuté de 50 %. Grâce à une meilleure hygiène des mains et à la suppression de la poignée de main, une habitude ancestrale qui a perdu toute sa signification. Définitivement jetée aux oubliettes.
L'été est à nos portes (dans l'hémisphère nord), ce qui ne fait pas les affaires du coronavirus. La combinaison d'activités extérieures en plus grand nombre, de vaccins efficaces et d'une hausse du degré d'immunité naturelle va faire reculer le virus dans une large mesure. Pourvu que les grandes concentrations de personnes restent proscrites, la plupart des mesures de restriction pesant lourdement sur le climat socioéconomique pourront être levées. Dans les prochains mois, la hausse des températures extérieures pourrait bel et bien porter un coup fatal à cette sale petite bestiole. An endless summer will lift the curse.
[1] Indice return net en euros.
[2] C'est ainsi que Woody Allen appelait les habitants de Belgenland, dans un de ses nombreux films. Malheureusement, nous ne savons plus précisément lequel, sans doute en raison d'une somnolence passagère.
[3] L'indice Personal Consumer Expenditure, expurgé des prix des aliments et de l'énergie.
[4] Une position sans nuances, cela va sans dire. Mais c'est ainsi que raisonnaient les monétaristes. En fait, il a dit littéralement : When you start paying people to be poor, you wind up with an awful lot of poor people. Une déclaration encore plus brute de décoffrage. Au XXIe siècle, une telle assertion susciterait un flot d'indignation. Et pourtant, Ronald Reagan, pour ne citer que lui, utilisait régulièrement cette citation à sa grande époque.
[5] Nous ne l'ignorons pas : la grippe intestinale n'est pas une grippe. Une chauve-souris n'est pas une souris sans poils.
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