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Le temps file et l’inflation s’emballe
15 juillet 2021
Mais nous n’en sommes sûrs que pour le temps qui passe. Le premier semestre de 2021 s’est déroulé si vite que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’accorder l’attention nécessaire aux principaux développements économiques et financiers. Les indicateurs conjoncturels ont affiché, au cours des six premiers mois de 2021 aux États-Unis et en Europe un redressement inédit, qui s’est traduit par des prévisions de croissance des résultats d’entreprises en augmentation exponentielle des deux côtés de l’océan Atlantique. Et, à cet égard, ce sont surtout les perspectives industrielles européennes qui se sont le plus améliorées.
Graphique 1 – Évolution des indicateurs conjoncturels industriels aux États-Unis, dans la zone euro et en Chine
L’évolution conjoncturelle chinoise se distingue cependant depuis de nombreux mois par sa faiblesse avec, à la clé, une rechute du taux de croissance des activités tant de l’industrie que des services. Sur la base des chiffres les plus récents, la croissance annuelle du PIB chinois ne devrait être « que » de 6 %. Selon les normes chinoises, cette augmentation est très modeste, certainement à la lumière de l’ampleur des mesures qui ont été mises en œuvre depuis le déclenchement de l’épidémie. Est-ce la conséquence indésirable de la force du yuan par rapport tant au dollar qu’à l’euro ? Ou la baisse démographique commence-t-elle déjà à peser sur le dynamisme du pays ? Ce scénario (imprévu) a provoqué en tout cas en 2021 un recul important des cours boursiers chinois.
Quelles que soient les raisons du ralentissement économique, le gouvernement chinois ne reste pas les bras ballants et se voit contraint, après une pause de plus d’un an, d’abaisser à nouveau le niveau de réserves obligatoires des banques. Les établissements financiers chinois peuvent ainsi accorder (beaucoup) plus de crédits. Cette mesure, couplée à des coûts de financement plus bas, vise à faciliter l’octroi de crédits aux entreprises et aux consommateurs, dans une nouvelle tentative de dynamiser l’industrie et les secteurs des services en Chine.
Graphique 2 – Poursuite de la diminution des taux de réserve pour les banques chinoises
Par ailleurs, un certain affaiblissement des indicateurs ISM[1] américains s’observe également depuis peu, tant pour l’industrie que pour le secteur des services. La bonne nouvelle est que ces indicateurs donnent à présent des prévisions plus réalistes et annoncent tout de même une croissance robuste et crédible dans les prochains mois, que ce soit dans l’industrie ou les secteurs des services.
En cela, ils traduisent aussi un risque moindre d’assister à une surchauffe de l’économie. Le revers d’une reprise économique trop vigoureuse est en effet une flambée de l’inflation. Laquelle, à son tour, est susceptible d’affaiblir le tempo économique sous le poids de la hausse des coûts de financement pour les investissements et la consommation.
Entre-temps, divers indicateurs de l’inflation américaine ont montré que le niveau des prix avait progressé de manière substantielle en 2021. Tous les indices pertinents, que ce soit le PPI, le CPI ou le PCE[2], ont affiché un bond significatif depuis le début de l’année. Cette progression a encore gagné en puissance avec la publication récente du chiffre de l’inflation CPI qui a (largement) dépassé toutes les attentes, avec une hausse du niveau général des prix de pas moins de 5,33 % (!) en base annuelle. Même en y expurgeant les prix erratiques de l’alimentation et de l’énergie, cette inflation affiche encore une progression de 4,45 % par rapport à la même période de l’an dernier.
Il convient cependant de nuancer quelque peu ce chiffre, à première vue effrayant. Et fort heureusement. Une bonne partie de la hausse s’explique en effet par l’évolution spécifique de plusieurs produits dont le prix a fortement augmenté récemment en raison de restrictions temporaires de l’offre après la relance abrupte d’une activité économique mise à l’arrêt.
L’exemple le plus évident à cet égard est sans doute la flambée des prix des voitures et des camions d’occasion. La pénurie soudaine de microprocesseurs a ralenti considérablement les chaînes d’assemblage de nouvelles voitures. Résultat : la demande de tous les véhicules à quatre roues disponibles immédiatement a augmenté temporairement[3]. Mais ce saut spectaculaire disparaîtra naturellement lorsque les goulets d’étranglement se réduiront progressivement du côté de l’offre.
Graphique 3 – Évolution du prix des voitures et camions d’occasion aux États-Unis
Autre segment qui se distingue par des hausses de prix substantielles : les activités qui doivent passer du jour au lendemain d’un arrêt quasi total à un tempo très élevé. Exemples typiques de ce phénomène : les hausses de prix spectaculaires observées dans les restaurants et dans les secteurs aéronautique et hôtelier. À présent, ces derniers affichent même des prix sensiblement supérieurs à ceux pratiqués avant la pandémie. Lorsque l’économie se normalisera, ils s’inscriront sans doute à nouveau dans leur tendance normale.
Entre-temps, la banque centrale américaine n’en démord pas : les hausses de prix actuelles ne sont que passagères. D’une part, parce qu’elles résultent d’un déséquilibre temporaire dans les chaînes d’approvisionnement, qui disparaîtra lorsque l’activité économique retrouvera un rythme normal. Et d’autre part, parce que la flambée des prix n’est qu’une réaction naturelle aux prix au plancher observés en 2020, un peu comme une balle jaillit de l’eau lorsqu’elle y a été plongée… avant de retomber d’elle-même.
Vu la reprise sur les chapeaux de roue de l’activité économique, une augmentation de l’inflation était donc inévitable. Non seulement parce qu’il s’agit d’une réaction naturelle à l’évolution négative du niveau des prix durant les jours les plus sombres de la crise en 2020, mais aussi parce que des goulets d’étranglement se sont formés dans les chaînes d’approvisionnement que l’on retrouve en fait dans les secteurs les plus divers de l’industrie.
La banque centrale américaine fonde sa politique sur le chiffre de l’inflation PCE pour laquelle elle opte, d’une part, pour un autre mode de calcul et, d’autre part (et surtout), pour une autre composition du panier des biens et des services étudié. Hasard ou non, les mouvements des prix des voitures d’occasion ou de nuitées d’hôtel se voient appliquer dans cet indice une pondération sensiblement inférieure à celle retenue dans l’indice CPI. L’indicateur PCE accorde plus d’attention aux tendances à long terme dans l’économie, ce qui explique que les loyers, notamment, y ont un poids plus important. Et ce sont précisément ces prix qui ont évolué beaucoup plus modérément.
Vous trouvez cela un peu confus ? Vous n’êtes pas le seul. La complexité de la méthodologie, le recours à différents types d’indices (CPI, PPI, PCE, etc.), le jargon impénétrable sans oublier les différences dans la composition et le mode de calcul ne permettent pas à un observateur extérieur de se forger une image claire des tendances inflationnistes réelles.
Graphique 4 – Évolution de l’inflation de base PPI, CPI et PCE aux États-Unis par rapport à l’inflation attendue
De surcroît, l’inflation attendue, que l’on peut déduire des cours des obligations, diverge dans une grande mesure des indices cités. L’inflation escomptée se situe en effet à un niveau sensiblement inférieur, ce qui est interprété comme l’expression de la confiance des marchés financiers à l’égard de la position de la Fed. Concrètement, si le niveau de l’inflation sera certes plus élevé à l’avenir, cette évolution ne risque pas de se transformer en une spirale de hausses de prix, laquelle devrait être combattue à coups de hausses substantielles du taux directeur. Mais les doutes persistent, surtout après le chiffre de l’inflation CPI ahurissant qui a été publié lundi.
Cela ne signifie cependant aucunement que le taux directeur aux États-Unis n’augmentera pas dans un avenir prévisible. Au contraire. La normalisation de la croissance économique dans les années à venir implique nécessairement une hausse du taux d’intérêt à court terme[4] par rapport au niveau zéro actuel. Pour l’heure, on s’attend à observer une seule hausse du taux directeur de 25 points de base en 2022 et deux augmentations additionnelles en 2023[5].
Cela n’a évidemment rien de catastrophique. Mieux même : si le taux directeur restait plus longtemps encore congelé au taux de 0 % actuel, cela indiquerait que le marasme économique se poursuivrait (de manière inattendue) et que des mesures de restriction complémentaires seraient instaurées pour lutter contre la pandémie. Pour les marchés financiers, il s’agit surtout de savoir comment les résultats d’entreprise réagiront à cette hausse du taux directeur, dans quelle mesure la politique monétaire sera influencée et à quel point l’inflation croissante se traduira par une hausse des taux d’intérêt des placements à long terme.
Une remontée du taux directeur de 0,75 % ne constituerait d’ailleurs absolument aucun problème pour les marchés d’actions. L’activité économique en hausse et la progression concomitante des bénéfices des entreprises sont en mesure d’absorber progressivement de tels mouvements haussiers du taux d’intérêt à court terme.
Immédiatement après l’annonce de l’hallucinant et indéniable bond de l’inflation aux États-Unis, les taux d’intérêt à long terme n’ont d’ailleurs progressé que dans une mesure limitée. Les observations les plus récentes indiquent même un repli étonnant du taux américain à 10 ans (dans la foulée, également les taux obligataires dans la zone euro).
Graphique 5 – Évolution du taux d’intérêt à 10 ans aux États-Unis et dans la zone euro
Ce repli s’explique pour deux raisons. Primo, on craint à nouveau la mise en œuvre de mesures supplémentaires pour freiner la propagation rapide du variant delta, ce qui reporterait fatalement la relance économique. Secundo, les chiffres de l’emploi les plus récents n’ont pas fait apparaître uniquement une forte progression du nombre d’emplois disponibles et de nouveaux postes vacants. Les marchés financiers se sont aussi et surtout intéressés à l’évolution des salaires.
Et celle-ci a étonné par sa croissance modérée, rompant ainsi la forte tendance haussière des mois précédents. C’est important dans la mesure où lorsque les augmentations salariales accélèrent, elles sont ensuite très difficiles à freiner lors de chaque nouvelle hausse de l’inflation.
Avec une croissance d’un mois à l’autre au tempo modéré de 0,33 %, l’augmentation moyenne des salaires reste cependant d’une ampleur acceptable. La flambée salariale des derniers mois a donc pu être éteinte plus rapidement que prévu et, avec elle, la crainte d’un dérapage des coûts du travail, du moins provisoirement.
Au vu des chiffres les plus récents, il n’y a donc pas lieu d’avoir peur (pour l’heure) d’une surchauffe. Les taux d’intérêt à long terme subissent ainsi une pression nettement amoindrie et les bourses d’actions ne doivent pas craindre un renchérissement substantiel des coûts de financement.
Nous n’ignorons pas évidemment que le tableau optimiste qui ressort des indicateurs conjoncturels européens et américains est attribuable en grande partie aux efforts attendus des autorités. Dans le monde entier, les gouvernements restent résolus à prendre les mesures nécessaires sur le plan budgétaire et monétaire. La perspective d’une haute conjoncture économique imminente, combinée à des attentes modérées en matière de taux d’intérêt et une forte hausse des résultats d’entreprises, s’est traduite par des hausses boursières remarquables depuis le début de l’année, de l’ordre même de 15 % (et plus) sur le Nasdaq, NYSE Fang et l’indice S&P Composite. Mais, sur les bourses européennes aussi, des gains similaires sont enregistrés.
Graphique 6 – Évolution de divers indices boursiers (return net en euro)
Au cours de la décennie écoulée, les bourses européennes ont accumulé cependant un très grand retard par rapport à leurs rivales américaines. Nous estimons ainsi que les marchés européens combleront, au cours des prochains mois, au moins une partie de l’avance américaine. La haute conjoncture escomptée est en effet intégrée davantage dans les cours des actions américaines que sur le vieux continent. Les résultats des entreprises européennes ne commenceront en effet vraiment à progresser nettement qu’à partir du second semestre de 2021.
Malgré la pondération accrue que nous octroyons aux marchés d’actions européens, la position américaine reste surpondérée en raison de la force fondamentale des entreprises technologiques aux États-Unis. Les attentes dans ce secteur restent très élevées. La croissance moyenne attendue pour le trimestre en cours devrait encore dépasser de 10 % les bénéfices record qui ont été enregistrés jusqu’à présent. Mais l’Europe s’apprête à son tour à épater la communauté des investisseurs à partir du troisième trimestre en affichant un bond spectaculaire des résultats de ses entreprises.
Notre position en actions reste délibérément surpondérée avec des accents basés sur des choix tactiques ciblés dans des secteurs de croissance tels que la technologie (entre autres en cybersécurité, robotique et fintech) et la logistique. Nos préférences géographiques se situent aux États-Unis, en Suisse, en Scandinavie et en Allemagne.
Nous résistons aussi clairement à l’engouement du jour. Ainsi, malgré la flambée récente de leurs cours, nous restons ostensiblement absents dans les secteurs des grandes banques traditionnelles européennes ainsi que des voyages et des hébergements. Ces segments restent des gisements notoires d’inefficience et pèseraient inutilement sur notre rentabilité future. Comme nous l’avons déjà souligné par le passé, nous préférons à cet égard des valeurs de segments tels que la fintech et la sécurité cloud, les banques d’affaires spécialisées ou les entreprises qui misent sur de nouvelles tendances dans le tourisme et les loisirs.
Nous laissons volontiers à d’autres les sentiers battus que sont les actions faiblement valorisées ou les métaux précieux. Conformément à notre prévision conjoncturelle, nous donnons la préférence aux entreprises industrielles de qualité.
Par ailleurs, nous continuons sciemment à délaisser les poids-morts comme les marchés émergents, à une exception majeure près à laquelle nous continuons de faire confiance : l’Inde. Certes, la Chine reste présente dans notre portefeuille, mais dans une position modeste.
La composante obligataire de notre portefeuille est constituée d’une sélection équilibrée en termes de rendement et de sécurité : un mix d’obligations d’entreprises américaines et européennes, d’obligations d’État italiennes, polonaises et (dans une mesure limitée) tchèques et néozélandaises et un accent substantiel en obligations d’entreprises scandinaves et obligations d’État chinoises.
Notre modèle d’allocation d’actifs, qui s’est révélé si utile durant les tempêtes financières des années écoulées, veille tranquillement mais sûrement à équilibrer les rendements attendus et les risques nécessaires, en prenant explicitement en considération le profil d’investisseur.
[1] L'abréviation ISM signifie Institute for Supply Managers ; cet indice chiffré synthétise les réponses à un sondage mené chaque mois auprès des directeurs d'achats des entreprises américaines.
[2] Ces indices mesurent l'évolution du niveau des prix, respectivement pour les prix de gros et de détail. Les indices PCE et CPI divergent tant au niveau de la méthode de calcul que de la composition du panier des biens de consommation.
[3] Et cela, à un moment, où le secteur logistique a besoin de plus de véhicules en raison du succès des ventes en ligne.
[4] Nous pouvons déduire un tel scénario de l’actuelle courbe des taux qui intègre le niveau de taux attendu pour les placements à 1 an dans 1 an et dans 2 ans.
[5] Le scénario « officiel » de la Fed pointe deux hausses du taux directeur, quelque part en 2022 ou 2023.
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