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High 5
17 juillet 2020
Si, l'an dernier, un voyageur dans le temps était revenu nous raconter que nous connaîtrions en 2020 une année historique, nous l'aurions cru bien volontiers. Il ne fallait pas être grand clerc en effet pour espérer vivre de grands moments à l'occasion de l'Euro de football, des Jeux olympiques et d'une saison cycliste qui s'annonçait très prometteuse.
Et si Madame Irma avait vu clair dans sa boule de cristal et nous avait avertis du cataclysme sanitaire qui allait s'abattre sur nous, nous n'aurions jamais cru que les marchés financiers feraient preuve d'une telle résilience, en limitant leurs pertes à la portion congrue alors que la catastrophe économique prend des proportions bibliques. Fort heureusement, nous ne nous en sommes pas laissé conter. Nous nous sommes raccrochés (faute aussi, reconnaissons-le, d'une solution de rechange) aux lois de la mécanique financière en misant sur les secteurs les mieux positionnés dans le contexte actuel, comme la technologie, les soins de santé et les équipements de sécurité qui ont pu s'appuyer, pour rebondir, sur des fondamentaux solides comme la faiblesse des taux d'intérêt, conjuguée à un soutien économique et financier et une prime de risque raisonnable.
Les performances boursières globales enregistrées depuis le début de l'année dissimulent cependant de grandes disparités entre les continents, pays, secteurs et entreprises individuelles.
Sur la période précitée, les indices boursiers américains bien connus (comme le S&P 500 et le Dow Jones Industrials) sont grosso modo à l'équilibre s'agissant de leur performance exprimée en dollars. Et si vous y ajoutez les dividendes distribués entre-temps, ils affichent même une progression, tout comme l'indice global des actions chinoises.
Graphique 1 : Évolution de plusieurs indices boursiers chinois (indice return en €)
L'Europe se retrouve à nouveau très loin derrière, comme vouée aux déconvenues de toutes sortes, y compris boursières. Mais les circonstances actuelles lui offrent une occasion unique de changer la donne et de quitter son rôle d'éternel loser économique pour endosser celui d'une région à la pointe de l'innovation, confiante dans la force de son marché intérieur, appelée à exploiter pleinement les possibilités de croissance qui lui sont offertes et à dessiner ainsi de belles perspectives pour la prochaine génération.
Pour mener sa politique industrielle, le Vieux continent s'est laissé trop souvent guider dans le passé par des lobbys qui mettaient tout leur poids économique, politique et financier dans la balance pour faire pencher les décisions dans le sens de leurs intérêts à court terme. L'Union européenne (UE) s'est refusée ainsi obstinément à s'adapter à la réalité économique et a continué pendant de trop longues années à soutenir à grands frais des industries vieillissantes, au lieu d'investir dans des secteurs innovants. Il était plus important (électoralement) de maintenir des emplois dans des secteurs en perte de vitesse que d'en créer dans les entreprises d'avenir.
Si cette attitude a sans doute privé l'UE de nombreuses possibilités, tout n'est pas perdu pour autant. Surtout à présent que les États-Unis, suppliciés par le virus - qui a bien exploité les manquements de l'Oncle Sam -, pourraient devoir suspendre partiellement la reprise de ses activités économiques qui venaient à peine de redémarrer. En Europe, la situation semble pour l'heure davantage sous contrôle, mais nos contrées paraissent elles aussi enclines à l'excès de confiance et à l'imprudence, ce qui les rend donc toujours très vulnérables[1].
Au sein de la zone euro, on peut également observer une forte disparité des performances entre les secteurs : avec des chiffres très faibles pour le tourisme - ce qui ne surprendra personne - mais à nouveau, ce qui est plus étonnant, de piètres prestations de la part du secteur bancaire. En réalité, le secteur s'est engagé sur cette pente descendante depuis 2000, mais ses revenus spéculatifs, qui lui ont été presque fatals en 2008, ont longtemps dissimulé cette tendance de fond. Faute de prendre les mesures radicales qui s'imposent - ce qui requiert en effet du courage - les banques européennes (cotées en bourse) affichent actuellement des bénéfices qui ne représentent encore que 50 % de leur niveau atteint au début de ce millénaire.
Graphique 2 : Évolution des bénéfices des banques européennes cotées en bourse depuis 2000
Aux États-Unis, au cours de cette même période, les résultats du secteur financier ont progressé de pas moins de 50 %. Mais là aussi, la messe n'est pas encore dite. Le secteur financier européen n'est en rien homogène : on y observe de grandes divergences entre les entreprises individuelles et leurs stratégies respectives. Les groupes financiers très actifs dans la gestion de patrimoine et en pointe sur le plan de la numérisation de leurs opérations recueillent en bourse les fruits de leurs efforts. Il est vrai que l'activité de gestion de patrimoine requiert moins de fonds propres. Mais, s'agissant de la numérisation, le secteur bancaire doit consentir des investissements ciblés considérables, ce qui crée de nouvelles formes de risques technologiques qui doivent à leur tour être couverts par des fonds propres.
Le plan de relance prévu par l'Europe peut non seulement remettre son économie sur de bons rails, mais aussi la réorienter, cette fois sans se soucier des doléances stériles des lobbys industriels et financiers. Les dirigeants politiques européens en auront-ils le courage ? Au moment d'écrire ces lignes, nous ignorions s'ils réussiraient à briser, au terme de ce week-end, la résistance de la Bande des quatre. Les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l'Autriche - des pays qui jouissent d'une excellence réputation politique et financière - sont du genre aussi coriace que le cuir de leur portefeuille. Seule l'Allemagne dispose de l'influence nécessaire pour le leur faire ouvrir sans y attacher trop de conditions. Et, heureux hasard du calendrier, c'est précisément le géant économique du Vieux continent qui préside l'UE actuellement. Angela Merkel se montre cependant très réservée sur les chances d'arriver à un accord dans l'immédiat.
Il n'empêche, notre propension à envisager l'avenir avec optimisme est renforcée par le fait que les valeurs technologiques européennes s'inscrivent dans la même tendance haussière que leurs consœurs américaines.
Graphique 3 : Évolution de quelques secteurs européens par rapport à l'indice des valeurs technologiques américaines
Entre-temps, les dernières statistiques émanant de la Chine révèlent les limites des stimulants économiques et financiers : ils ne réussissent pas à soutenir l'activité de manière durable et substantielle. Certes, le produit intérieur brut (PIB) a enregistré une hausse de 3,8 % au deuxième trimestre (exprimé en base annuelle) et la production industrielle a même progressé de 4,8 % par rapport à la même période en 2019. Mais ces deux performances sont surtout le résultat des grands travaux d'infrastructures que le gouvernement chinois a lancés dans une tentative (jusqu'à présent réussie) de renverser la vapeur après une chute historique de l'activité économique au premier trimestre de 2020.
Mais de tels stimulants ont une portée limitée. Dans le temps mais aussi en termes de moyens. Il faut ensuite que le consommateur reprenne son rôle de moteur de la croissance économique. Or, pour l'heure, le consommateur chinois ne semble guère enclin à délier les cordons de sa bourse. Les ventes au détail se sont même contractées de 1,8 % par rapport à 2019.
Ces nouvelles négatives mettent en lumière la fragilité de la reprise économique, y compris aux États-Unis et en Europe, ce qui a pesé sur les cours des entreprises opérant tant dans le secteur des ventes en ligne comme Amazon, Tencent et Alibaba que dans celui de la grande distribution traditionnelle dite brick-and-mortar. Le premier groupe avait cependant fortement progressé en bourse auparavant, contrairement au second.
Les chiffres les plus récents des ventes au détail aux États-Unis indiquent cependant que le consommateur américain revêt à nouveau ses habits de principal soutien de l'activité économique. Mais sa propension proverbiale à dépenser risque d'être entravée par la propagation désormais incontrôlée du Covid-19 sur le continent américain, ce qui pourrait retarder la reprise économique.
La dispersion observée dans l'évolution des cours en 2020 prend des proportions inédites. Les différences[2] de performances entre l'indice NYSE FANG (+46 %), le CHINEXT (+44 %), le Danemark (+15 % !!) et le NASDAQ (+15 %) contrastent violemment avec les évolutions constatées, par exemple, des marchés d'actions en Colombie (-41 %), en Grèce (-36 %), au Brésil (-35 %), mais aussi en Belgique ou en Espagne, qui affichent une chute de 19 % depuis le début de l'année. Les divergences entre les pays s'expliquent en grande partie par la composition sectorielle de leurs indices boursiers respectifs. Mais ces derniers ne reflètent-ils pas à leur tour les choix politiques que ces pays ont opérés dans le passé ?
Nous nous permettons tout de même d'y mettre un bémol en pointant le degré de concentration au sein des indices qui ont progressé le plus fortement. Même dans les indices de référence globaux, comme l'indice S&P 500 américain, leur performance s'appuie sur l'évolution d'un nombre très limité de valeurs.
L'indice S&P 500 se situe grosso modo au même niveau qu'au début de l'année. Mais seul 1/3 des entreprises affiche un gain au sein de l'indice. La majorité des titres composant l'indice a donc perdu des plumes, et dans certains cas énormément. C'est un premier signe indiquant que ce sont surtout les grandes entreprises qui ont soutenu le niveau boursier. À peine 4 % des valeurs cotées ont représenté pas moins de 75 % de la contribution positive à l'évolution de l'indice boursier. Le reste n'y a donc apporté que des cacahouètes.
Et on peut encore affiner l'analyse. 1 % des entreprises américaines ont contribué à hauteur de 53 % à la performance de l'indice, plus précisément Amazon, Apple, Microsoft, Nvidia et Netflix.
Cette dernière valeur a bondi de 200 % au cours des 3 dernières années. Mais s'est repliée sensiblement vendredi dernier. Cette correction reflète la fragilité du redressement boursier et explique également notre optimisme modéré, teinté de prudence.
Mais que cette observation ne vous fasse pas peur inutilement. Ce tableau confirme la tendance observée depuis 1926 : seuls 4 % des entreprises américaines cotées[3] sont responsables de la totalité des gains boursiers (gigantesques) ! Et en poussant encore plus loin l'analyse : La moitié des gains boursiers a été générée par 0,33 % des entreprises cotées. Ce constat est d'ailleurs le meilleur plaidoyer en faveur d'une large diversification. Vous augmentez ainsi la probabilité que ces surperformeurs boursiers, difficiles à identifier au préalable, soient bien présents dans votre portefeuille.
Cette même concentration se retrouve d'ailleurs également du côté des actions en forte baisse. 1 % des entreprises ont pris à leur compte 20 % de la perte totale en 2020. La moitié de l'ensemble des pertes a été générée par 4 % à peine des valeurs cotées.
Une même tendance a été observée également pour les actions européennes. Et elle s'est confirmée en 2020. La moitié de la contribution positive en 2020 provient de 4 % des entreprises. Et, du côté négatif, on remarque une concentration semblable : une poignée d'entreprises est à l'origine du gros des pertes : Airbus, Total, Anheuser Bush, BNP, ING, AXA et Inditex.
Rien de neuf donc sous le soleil.
En attendant, il nous reste surtout à examiner ce qui ressortira des discussions entre États membres européens sur le plan de relance prévu. Un accord est indispensable, parce que nous n'aurons pas une seconde chance de rattraper une partie du retard économique que nous accusons par rapport aux États-Unis. Même un engagement temporaire soumis à des conditions réalistes suffirait déjà à susciter l'enthousiasme sur les bourses européennes. La présidence allemande actuelle de l'UE devrait faciliter l'obtention d'un accord, mais les discussions semblent très ardues. Nous tablons, au final, sur un compromis. Pas nécessairement en ce début de semaine, mais d'ici à la fin du mois d'août. Entre-temps, il importera surtout d'adopter une attitude très constructive.
Au moment où vous lirez ces lignes, vous en saurez peut-être déjà plus que nous.
[1] Nos pays restent d'autant plus exposés à une seconde vague du virus que la pression pour organiser des événements attirant la grande foule croît de jour en jour. Les autorités ne doivent pas y céder. Sous aucun prétexte.
[2] Chaque fois mesuré au niveau de l'indice return, exprimé en €.
[3] Do Stocks Outperform Treasury bills? Hendrik Bessembinder Department of Finance, Arizona State University May 2018
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