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Courte vue
19 octobre 2020
À deux semaines d’un événement politique majeur, il est tentant de l’ériger en moteur principal de l’évolution des marchés financiers. Certes, à court terme, cette incidence est indéniable. Mais, au fil du temps, ce sont toujours les tendances fondamentales sous-jacentes qui déterminent le climat boursier. La politique ne constitue que l’écume de ces vagues économiques. Pour notre part, nous nous intéressons surtout aux mouvements de ces vagues. On se rappellera à cet égard le fameux dicton boursier allemand : Politische Börsen haben nur kurze Beine. Pour les non-germanistes, il dit en substance que les bourses politiques ont une courte vue…
Les élections présidentielles américaines imminentes sont-elles de nature à faire mentir le dicton ? On pourrait le croire à entendre les commentateurs qui parlent d’un événement d’une importance historique. Mais rappelons-nous qu’ils nous serinent ce couplet lors de chaque élection présidentielle (ils n’y manqueront pas non plus à l’avenir).
En réalité, les changements fondamentaux de politique sont particulièrement rares[1]. À nos yeux, l’effet des élections ne sera un peu plus long que si leurs résultats ne sont pas clairs au matin du 4 novembre.
Jamais deux sans trois ? On verra. L’incertitude est toujours de mise. L’avance confortable[2] de Joe Biden sur son adversaire républicain dans les sondages nationaux ne se traduit pas en effet avec une certitude suffisante dans une majorité de grands électeurs par État. La spécificité du système électoral américain[3] ne permet donc pas d’extrapoler la victoire de Sleepy Joe des résultats des sondages.
Cette imprévisibilité est la première raison qui explique le recul limité des bourses américaines. La deuxième raison est à chercher du côté du nombre de nouvelles demandes d’allocations de chômage, nettement plus mauvais qu’escompté. Les marchés s’attendaient en effet à la poursuite de la tendance baissière du nombre d’Américains sans emploi. Cette déconvenue vient affaiblir le scénario d’un redressement économique tant attendu.
Graphique 1 : Nouvelles demandes d’allocations de chômage aux États-Unis.
Il est vraisemblable cependant que ce chiffre ne soit qu’une aberration temporaire due aux glissements intervenus dans l’éventail des programmes d’aide, dont les indemnités de chômage font partie. En tout cas, il ne faudrait pas que cela se répète.
Entre-temps, la nouvelle saison des résultats a commencé. Le deuxième trimestre avait créé la surprise, avec 80 % des entreprises américaines qui avaient vu leurs résultats dépasser les attentes. Pour le troisième trimestre, les investisseurs ont placé la barre nettement plus haut. Des déceptions sont donc inévitables.
Le recul des bourses s’explique cependant principalement par les espoirs de plus en plus ténus de voir le plan de soutien économique considérable être mis en œuvre avant les élections présidentielles. Certes, il était sans doute illusoire de tabler sur un accord entre les deux camps avant le scrutin, mais nous avions tout de même espéré une surenchère dans les mesures de soutien pour gagner les faveurs des électeurs.
Apparemment, aucun des deux partis ne veut courir le risque de voir le mérite d’un tel accord revenir à l’autre. La méfiance est à son comble. Même le très méritant secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin, n’a pas réussi jusqu’à présent à rapprocher les points de vue. Trump cherche surtout à retirer les avantages électoraux d’un accord et, pour y arriver, exerce une intense pression sur les sénateurs républicains. Mais en vain jusqu’à présent. Les sénateurs cherchent en effet à se distancier de leur candidat présidentiel, de peur que la défaite annoncée de Trump ne les entraîne dans une même déroute électorale.
Un accord n’est cependant pas encore totalement exclu. En cas d’échec, les marchés financiers surmonteront cependant rapidement leur déception dans la perspective des prochaines mesures de soutien du nouveau (?) président, même s’ils devront sans doute attendre jusqu’à son intronisation officielle qui a lieu traditionnellement à la fin du mois de janvier. Sauf turbulences électorales.
Nous n’allons donc pas en tirer de conclusions définitives. Comme nous ne nous inquiétons guère de la faiblesse boursière des dernières semaines. Le surplace et même le recul (limité) de quelques grands noms et poids lourds masquent en réalité la progression (passée inaperçue) des entreprises Small Cap et des valeurs industrielles. Le rallye boursier s’appuie à présent sur une base plus large qu’au cours du premier semestre de 2020, lorsque la hausse n’était l’œuvre que de cinq[4] entreprises.
Il serait cependant prématuré à nos yeux de déclarer Biden vainqueur de l’élection présidentielle. Trump peut afficher en effet un bilan économique relativement positif, en raison surtout de mesures de stimulation à grande échelle. Cette politique de soutien s’est traduite par des années de hausse boursière, de chômage historiquement bas et de progrès économique, qui n’ont été interrompues que par la guerre commerciale (perdue) que l’administration Trump a engagée contre la Chine. Le coronavirus a provoqué cependant des dommages économiques inédits. Si la politique de Trump en matière sanitaire est critiquée de toutes parts, il est difficile de prévoir son impact dans l’isoloir.
Sur le plan boursier, l’Europe a réalisé des performances relativement bonnes, malgré l’incertitude politique aux États-Unis et surtout la progression inquiétante du nombre de contaminations sur le vieux continent.
Graphique 2 : Évolution des indices MSCI de la zone euro, de la Chine et des États-Unis. Indices return nets, exprimés en euros.
Nous pouvons d’ailleurs nous estimer heureux que le virus ait muté en une version moins dangereuse (jusqu’à présent ?). Et cela contrairement à l’évolution fatale en 1919, lors de la deuxième vague de la grippe espagnole[5].
Les bourses européennes sont incontestablement soutenues par les bonnes nouvelles en provenance de Chine, tant au niveau économique que sur le plan sanitaire. Le géant économique asiatique poursuit en effet son redressement, avec des statistiques trimestrielles qui traduisent pour la troisième fois consécutive un progrès significatif de la croissance, qui se chiffre cette fois par une hausse de 4,9 % au terme du trimestre écoulé. Certes, c’était un peu moins qu’attendu. Mais cette fausse note a été immédiatement effacée par des ventes du détail plus élevées que prévu et l’annonce de nouveaux travaux d’infrastructures. L’Europe prend le chemin de cette reprise économique en V, mais échoue malheureusement jusqu’à présent à venir à bout du virus comme la Chine y est arrivée de manière convaincante. Son secret ? Des masques buccaux dès le premier jour.
Entre-temps, notre allocation d’actifs reste légèrement sous-pondérée en actions. Compte tenu de la volatilité attendue relativement haute et de la rémunération du risque (qui n’est que) moyenne en contrepartie, une sous-pondération plus prononcée aurait semblé plus logique. Mais les accents substantiels que nous mettons dans les secteurs de la technologie (plus précisément les applications numériques, l’automatisation et la robotisation), de la sécurité et des entreprises exploitant activement les tendances démographiques, telles que le vieillissement, nous permettent d’escompter un return attendu plus élevé et ainsi de conférer à notre exposition aux actions un poids relativement neutre.
À droite et à gauche, on s’offusque de voir prospérer les bourses d’actions (et les marchés obligataires) alors que l’économie avait à peine commencé à reprendre son souffle que la recrudescence des contaminations l’a contrainte à s’arrêter à nouveau.
Il serait erroné cependant de confondre l’économie d’un pays avec son indice boursier. Cette distorsion entre Wall Street et Main Street est très frappante aux États-Unis, tout simplement parce que le marché d’actions n’est représentatif de l’économie sous-jacente que dans une mesure limitée : les secteurs de la technologie et des télécoms représentent à eux seuls 35 % de la capitalisation boursière, alors que leur contribution au PIB américain s’élève à peine à 8 %. Plus frappant encore : les entreprises pharmaceutiques et les fabricants de produits médicaux ne contribuent à l’économie qu’à hauteur de 1 % alors qu’ils pèsent pas moins de 11 % en bourse. Cela explique en grande partie le paradoxe apparent entre l’évolution des marchés d’actions et l’économie réelle.
Si le doigt pointé vers la bonne tenue des marchés financiers n’est pas exempt de considérations moralisatrices et même réprobatrices, il traduit aussi la crainte confuse d’une surévaluation potentielle. Et cette appréhension mérite évidemment que nous nous y attardions. Notons d’emblée que la hausse boursière en 2020 est toute relative. L’action américaine ou européenne moyenne affiche en effet toujours un cours en baisse de 1,5 % depuis le début de l’année.
Qui plus est, la bonne tenue des marchés est très loin de concerner toutes les bourses de la planète. Celles qui performent bien depuis le début de l’année sont même plutôt les exceptions à la règle. Bien entendu, on retient surtout les performances très parlantes des indices NYSE FANG et CHINEXT, qui ont progressé respectivement de 72 % et 59 % en 2020 (hausses exprimées en euros). Ces indices sont tous constitués des entreprises dont le modèle économique – hasard ou non – est parfaitement adapté au contexte actuel.
Les indices technologiques plus larges ont également très bien performé. Cela ne se limite pas au NASDAQ (+25 %) et au CSI-300 (+19 %). Les secteurs technologiques européens et japonais ont connu eux aussi de solides progressions en bourse malgré l’implosion économique. Mais, dans le peloton de tête, on retrouve également à côté des indices sectoriels l’indice MSCI du Danemark[6], qui a bondi de 27 %, soit une hausse supérieure à celle de l’indice NASDAQ.
La performance singulière de cette région s’explique naturellement en grande partie par le poids considérable de la technologie, de la biotech et de la pharmacie dans cet indice boursier, qui ne comprend par ailleurs que dans une mesure limitée des secteurs sensibles aux événements (comme les brasseries) et les (grandes) banques. La Belgique fait piètre figure dans cet exercice comparatif. Elle végète tristement au bas du classement, ne dépassant que des pays comme le Brésil, la Grèce, l’Espagne et (tout de même !) l’Autriche.
Les compositions sectorielles respectives des indices danois et belge expliquent pour une part la différence de leurs performances. Mais on observe aussi un écart significatif des performances respectives des actions belges et danoises au sein du même secteur. Ainsi, les banques, entreprises technologiques et pharmaceutiques de notre pays affichent des évolutions boursières bien plus négatives que leurs consœurs danoises.
Tout comme aux États-Unis, le coronavirus reste à la une de l’actualité en Europe. La flambée virale actuelle était parfaitement prévisible au vu de l’accélération que nous avions pu déduire des chiffres dès fin août/début septembre et que nous avons pointée plusieurs fois depuis lors.
En tardant à prendre de nouvelles mesures appropriées et en ne faisant pas respecter avec la discipline nécessaire les dispositions existantes, on ne pouvait qu’en arriver à la situation alarmante que nous vivons aujourd’hui. Les conseils sages ont donc été ignorés. Les activités touristiques et événementielles ont été autorisées à une grande échelle, sous la pression bien compréhensible de ces secteurs à forte intensité de main-d’œuvre qui disposent de bons relais dans les médias.
Les bourses ne se sont guère émues du durcissement récent des mesures anti-covid. Les secteurs concernés n’affectent en effet qu’une portion congrue de la capitalisation boursière alors que les entreprises actives dans les secteurs technologiques et sanitaires, qui pèsent beaucoup plus lourd en bourse, voient leur modèle économique à nouveau valorisé par l’évolution de la crise sanitaire.
Les bourses n’anticipent pas non plus un éventuel second confinement semblable au funeste lockdown appliqué en mars et avril 2020. Elles partent du principe que les autorités ne prendront plus une mesure aussi toxique pour l’économie parce que son efficacité s’est révélée très limitée par rapport à son coût socio-économique gigantesque.
Aujourd’hui, les plats pays occupent une position de tête peu enviable en termes de nombre de contaminations par million d’habitants. On ne peut malheureusement plus se voiler la face.
Graphique 3 : Nombre de contaminations au coronavirus par million d’habitants
Tentons malgré tout de sauver l’honneur de notre pays en cherchant à expliquer objectivement les différences avec d’autres régions. Ainsi, nous percevons tout de même un lien statistique avec des facteurs d’environnement tels que la densité de population et le degré d’urbanisation. Ces deux facteurs accentuent en effet la concentration, ce qui rend notre pays particulièrement vulnérable aux pandémies (et aux crises financières systémiques[7]).
Mais, malheureusement, nous devons bien admettre humblement que nous ne trouvons aucun facteur fondamental et objectif, autre que la politique menée, qui permettrait d’expliquer le taux de contamination plus élevé de la Belgique. Un facteur significatif est pourtant bel et bien en jeu. Il est quasi certain que de tels écarts par rapport à la moyenne des autres pays ne peuvent pas être le fruit du hasard.
Nous avons commis une erreur quelque part. Ce pourrait même être le jeu des sept erreurs, si ce n’était aussi tragique...
[1]En politique américaine, une modification réelle et significative de l’orientation de l’administration est qualifiée de realignment. Dans l’après-guerre, un tel réalignement ne s’est produit que deux fois : en 1980, lors de l’élection de Ronald Reagan et en 1994 lors du basculement de la majorité au Sénat.
[2] On rappelle souvent à cet égard l’avance de Hillary Clinton dans les sondages en 2016, qui ne lui avait pourtant pas permis de remporter l’élection à la présidence. Mais les écarts étaient à l’époque nettement plus petits qu’aujourd’hui.
[3] Qui plus est, les États américains disposent à titre individuel de compétences très larges (et parfois très singulières) en matière de ratification et d’interprétation des résultats électoraux. En cas de victoire très courte d’un des deux candidats, les résultats peuvent donc s’avérer incertains pendant quelque temps.
[4] Apple (32 %), Amazon (31 %), Microsoft (20 %), NVIDIA (9 %) et Facebook (9 %) permettent en effet d’expliquer 99 % de la progression de la capitalisation boursière de l’indice S&P Composite depuis le 01.01.2020.
[5] Lors de la première vague de la grippe espagnole en 1918, il était apparu que le médicament (l’aspirine) administré massivement et à trop forte dose avait fait plus de victimes que le virus en tant que tel. Lors de son retour, le virus avait muté en une machine meurtrière qui a provoqué en définitive plus de morts que la Première Guerre mondiale, ce qui n’est pas peu dire.
[6] La Suède et la Finlande peuvent elles aussi se réjouir de la performance de leur indice boursier national en 2020. Nous n’avons jamais caché notre prédilection pour les pays scandinaves. À cet égard, nous avons ajouté à la Scandinavie la Finlande et en avons sorti la Norvège...
[7] Est-ce ainsi un hasard si la Belgique se trouvait également tout en haut du classement après la crise financière de 2008 ? Selon un rapport – on ne peut plus clair – du FMI, nul autre pays que la Belgique n’a accordé une aide (directe et indirecte) aussi élevée à ses grandes banques pour leur éviter de sombrer.
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