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Noël précoce le Vendredi saint
13 décembre 2019
Ces dernières semaines, la crainte de l’instauration de nouveaux tarifs douaniers américains sur les biens de consommation importés de Chine à partir du 15 décembre avait conduit certains à se mettre à l’abri comme si le ciel allait leur tomber sur la tête.
Nos lecteurs le savaient pourtant bien. Quand bien même la concrétisation de cette mesure aurait fait tanguer les marchés financiers, ils se seraient rapidement remis en selle par la suite. L’économie est en effet très flexible et peut s’adapter assez vite à un nouvel environnement.
Depuis le déclenchement des hostilités commerciales entre Washington et Pékin, il y a 17 mois, les bourses de la planète entière ont progressé en effet sensiblement, y compris avant l’annonce récente qu’un accord avait été atteint. L’indice return net MSCI pour les États-Unis a même gagné 15 % au cours de cette période. Certes, sans guerre commerciale, les cours des actions évolueraient sans doute encore plus haut aujourd’hui, mais c’est surtout l’erreur d’appréciation de la banque centrale américaine à l’automne de 2018 qui a coupé l’élan des bourses.
Graphique 1 : Évolution de la bourse américaine depuis l’instauration des tarifs d’importation
Le niveau du cours de la monnaie chinoise, par rapport au dollar américain, nous a permis au cours des semaines écoulées de suivre de très près l’évolution des probabilités d’une issue positive ou négative de la vague de négociations actuelle. Nous avons donc pu naviguer en nous fixant un cap stratégique déterminé de manière objective. Dernièrement, la probabilité d’un accord commercial était estimée à 80 %.
Les contours concrets de ce scénario favorable étaient laissés cependant à l’interprétation de chacun. Pour notre part, nous n’espérions pas plus (ou pas moins) qu’un report substantiel, voire une annulation pure et simple des hausses annoncées de 15 % pour ces droits de douane. Contrairement aux augmentations de tarifs antérieures, nous trouvions très dangereuse la dernière salve prévue parce que cette dernière aurait eu un impact direct sur les entreprises non chinoises et n’aurait pas pu être compensée suffisamment par une dépréciation du cours du yuan.
Dans de telles circonstances, la Chine n’aurait pas eu d’autre choix que de mettre en œuvre des mesures de représailles aussi radicales. Le conflit commercial se serait enlisé alors dans une guerre de tranchées sans espoir de sortie de crise. Des adversaires qui s’engagent dans cette voie n’ont plus d’autre but que de détruire l’ennemi en tentant de l’épuiser pendant de longues années. Une telle stratégie signifiait donc de très sombres perspectives pour l’économie mondiale.
Au vrai, le conflit commercial lancinant se faisait déjà lourdement sentir sur l’économie chinoise. Il n’a certainement pas échappé aux négociateurs chinois que le surplus commercial du géant rouge avec les États-Unis commençait à fondre à vue d’œil, malgré la baisse du cours du yuan.
Graphique 2 : Excédent commercial de la Chine avec les États-Unis
Aux États-Unis également, les indicateurs conjoncturels de l’industrie se détérioraient sensiblement, sans que le grand public n’en ait pris conscience jusqu’à présent. Seules les données affectionnées par les médias, comme les chiffres du chômage (en baisse) et des créations d’emplois, ont fait la une. Mais ces infos ne reflètent que l’évolution passée et ne disent rien, ou très peu, sur l’avenir. Or, la solidité apparente du marché de l’emploi est également menacée à terme. Comme nous l’annoncent les chiffres des postes vacants, publiés récemment.
Graphique 3 : Croissance du nombre d’emplois vacants aux États-Unis
Dans la mesure où les postes vacants d’aujourd’hui sont les créations d’emplois dans quelques mois, les États-Unis ont pris conscience qu’ils allaient au-devant d’une aggravation du ralentissement économique.
Jusqu’à présent, cela s’était déroulé sans risque significatif de récession. Mais pourquoi le président américain mettrait-il sa réélection en péril en envenimant le conflit commercial avec la Chine, ce qui provoquerait une récession ? Trump n’espérait donc plus obtenir qu’une seule concession concrète de la part des Chinois : qu’ils achètent massivement des produits agricoles américains. C’est-à-dire plus qu’avant le conflit, bien entendu.
La promesse de la Chine d’en acheter pour pas moins de 50 milliards de dollars remplit largement cette condition. Il s’agit tout bonnement d’un doublement des volumes par rapport aux achats antérieurs. La Chine peut-elle donc réellement respecter cet engagement ? Cet accord ne va-t-il pas conduire à de nouvelles déceptions et mesures de rétorsion ?
Toujours est-il que les bourses mondiales ont réagi avec un enthousiasme très mesuré à l’annonce de l’accord sino-américain. On peut l’expliquer pour deux raisons : d’une part, les marchés financiers avaient déjà anticipé en grande partie le scénario positif et, d’autre part, ils attendent encore la confirmation officielle des deux parties et surtout les détails concrets de l’accord.
Pour continuer à alimenter le rallye boursier, les investisseurs ont besoin en tout cas de beaucoup plus d’informations sur le « deal ». Nous ne sommes donc pas encore sortis entièrement de la zone d’incertitude. Quels sont les termes précis du nouvel accord et comment se traduiront-ils concrètement dans des textes juridiques ?
Des questions similaires se posent à présent pour le Premier ministre britannique Boris Johnson qui vient de gagner avec éclat les élections législatives. C’est une chose de remporter une victoire historique face à un piètre adversaire politique, c’en est une autre de concrétiser à présent l’accord du Brexit. Nous sommes également impatients de découvrir l’attitude de l’Écosse après les résultats électoraux triomphants du parti nationaliste écossais.
Pour l’heure en tout cas, nous ne cachons pas notre enthousiasme à l’égard du marché d’actions britannique. Moyennant quelques manœuvres habiles, le Royaume-Uni peut jouer les francs-tireurs sur les marchés commerciaux internationaux alors que l’UE aura également les coudées plus franches pour mener sa barque.
Par ailleurs, les entreprises européennes retrouvent de belles perspectives de développement maintenant que cette petite période glaciaire du commerce mondial semble avoir pris fin et que les projets d’investissements bloqués jusqu’ici pourront être mis en œuvre sur fond d’espoir de reprise de la croissance de l’économie globale.
Mais l’économie prouve une fois de plus sa nature de dismal science. La triste vérité est qu’il n’y a pas de gagnants sans perdants. En l’espèce, le billet vert pique du nez, vis-à-vis tant de l’euro que de la devise chinoise.
Certes, c’est tout sauf une surprise. En cas d’issue favorable des discussions, nous avions prévu en effet que le yuan se renforcerait par rapport au dollar, jusqu’à un cours de 7 yuans pour 1 dollar, ce qui est quasiment le niveau atteint actuellement (6,98 yuans par US $).
Mais la devise américaine s’est également dépréciée sensiblement par rapport à l’euro. Suffisamment même pour qu’on puisse parler de (légère) sous-évaluation par rapport au niveau déterminé par notre modèle de valorisation fondamentale, mais insuffisamment pour devoir mettre en place des stratégies de couverture (coûteuses). De ce fait, nous avons vu malheureusement s’évaporer (temporairement) une partie du gain sur notre position en actions américaines.
Cela peut-il encore mal tourner ? Bien entendu. Il ne fait pas de doute que nous ne nous engageons nullement sur un chemin pavé de roses, mais plutôt sur une route cahoteuse remplie de nids-de-poule et d’obstacles imprévus. L’avenir immédiat ressemble ainsi à notre entrée à Anvers, côté est, au volant de notre voiture par un mardi matin pluvieux ou à notre tentative de traverser la place Meiser à Bruxelles (à n’importe quel moment de la semaine ou de la journée). L’ennemi peut surgir soudain de partout et de nulle part…